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DERNIER CHAPITRE

« On peut réparer ses erreurs. Recommencer une nouvelle vie s'il le faut. »

* * *

Néanmoins, je continue de penser à Nathan. Tous les jours. Le ciel de Nouvelle-Angleterre, tellement différent de celui du Nord-Ouest Pacifique, me donne l'horrible impression qu'il est très loin de moi.

Un mardi soir, après le dîner, je traverse le campus à pied pour me rendre à l'autre bout de la ville. J'ai repéré un vieux cinéma là-bas et j'ai envie d'y jeter un coup d'oeil. C'est une longue promenade mais je suis contente de faire un peu d'exercice. Je suis étrangement sereine ce soir. Je ne me sens pas seule. Je vais au cinéma.

« Et quinze minutes plus tard, nous voilà sur le perron — nous deux plus une autre fille du pavillon. Le van de Spring Meadow nous prend à dix-huit heures trente-six. Puis, il continue à descendre la "Route de la Guérison" en s'arrêtant devant d'autres pavillons pour ramasser d'autres personnes. »

Le cinéma se nomme The Academy.

« Le chauffeur nous conduit au centre-ville de
Carlton, dont on fait vite le tour puisqu'il ne se
compose en gros d'une seule rue. Il se gare
devant le cinéma à moitié délabré au nom
original et bien trouvé : le Carlton. »

Il ressemble beaucoup au Carlton. Je paie les cinq dollars d'entrée et je m'achète du popcorn bon marché. Je remercie poliment la jeune fille qui remplit mon cornet jusqu'à ras bord.

« Vern, le vieux gay, finit par avoir une
illumination. Il décide d'aller s'acheter des
billets et de rentrer dans le cinéma. Le reste du
groupe lui emboîte le pas. »

« Le Carlton est une poubelle. La moquette du
vestibule pue le moisi. La tapisserie se décolle.
Les couloirs sont froids, humides et parcourus
de courants d'air. Par contre, le popcorn ne coûte qu'un dollar — c'est un bon point. »

Une fois à l'intérieur, je m'assois vers le fond. Il y a une douzaine de spectateurs éparpillés dans la salle.

« Dans la salle, on s'installe en rang d'oignon.
Je m'assois complètement au bout, Emily se met à côté de moi. Après, il y a Vern, et puis tous les
autres. Les bandes-annonces démarrent. Je
remonte la fermeture éclair de mon manteau et
j'inspire un grand coup. C'est parti pour la soirée cinéma. »

La lumière baisse et je commence à mâchonner du popcorn en m'absorbant peu à peu dans l'histoire.

Le mardi suivant, je remets ça. Je parcours la ville d'un bout à l'autre, toujours en ayant ces doux souvenirs à l'esprit, dans le froid, jusqu'à l'Academy. Quitter le campus est un excellent moyen de se détendre et d'oublier un moment les contraintes de la vie d'étudiante.

« Je n'arrive pas du tout à suivre l'histoire. Je
m'ennuie à mourir et je commence à sentir les
prémices d'une attaque de fourmis — c'est quand ton corps te crie : "OÙ EST NOTRE
DOSE QUOTIDIENNE D'ALCOOL ET DE
DROGUE ? JE LA VEUX MAINTENANT !" »

« — On s'en fout !
— Chuuuuuuut ! »

« — Tue-le ce batard !
— Tire-lui dans la tronche ! »

J'ai conservé cette habitude jusqu'à ce jour. Je continue de sortir — pas tous les mardis, mais presque. C'est ma soirée ciné à moi.

« — Vous voulez bien faire moins de bruit ?
— Vous voulez bien me lécher la sucette ? »

Bien sûr, je songe à Nathan chaque fois que j'y vais. Peut-être qu'au fond de moi, j'attends qu'il me rejoigne, qu'il s'assoie à côté de moi et qu'il pose ses grands pieds sur le dossier d'en face.

« — Maintenant que je t'ai raconté mon histoire, j'ai l'impression d'être un peu plus connecté à toi.
— Un peu plus ?
— Ouais, j'apprécie ta compagnie, Kaylee. Je
trouve qu'on a ce petit lien particulier qui nous
unis, tu sais, ce genre de lien qu'entretiennent
les personnes qui ont vécu certains évènements similaires. »

« — Tu m'intrigues beaucoup.
— J'intrigue beaucoup de personnes. C'est ce qui fait ma particularité et la raison pour laquelle beaucoup de personnes ne m'apprécient pas.
— Tu as de la chance alors, parce que moi, ce petit côté mystérieux, je trouve qu'il te donne un certain charme. Un charme que je n'ai vu nulle part autre. »

J'ai compris un truc : on peut changer le cours des choses. On peut réparer ses erreurs. Recommencer une nouvelle vie s'il le faut. Et puis, il y a l'irrémédiable. Ce qu'on perd à tout jamais. Certaines personnes. Certains moments gâchés parce qu'on les a vécus a une époque où on se blindait contre les émotions, faute de savoir comme s'y prendre autrement.

« C'est une voix d'adulte. Quelqu'un est mort. Emily est morte. »

« J'ai perdu Nathan. Complètement. Définitivement. »

On ne les voit pas venir, parfois on les ignore quand ils arrivent — mais plus tard, quand on s'installe dans une certaine monotonie, on réalise à quel point ils étaient importants. On comprend enfin qui a compté dans nos vies, qui nous a fait tel qu'on est.

« — Nathan ?
— Oui ?
— Je t'aime. »

« Nathan fait partie du même monde que moi. Il est mon monde. Il est passé par où je suis passée. Il me comprend comme aucune autre de ces personnes ne peut le faire, et ne le fera jamais. »

Je ne veux pas dire au revoir à Nathan. Ni à Emily. Je les garde auprès de moi. Pour toujours.

Nathan. Mon premier amour. Mon meilleur ami. Mon motard au coeur tendre.

Emily. Ma première et unique meilleure amie. Ma soeur. Celle que je n'oublierais jamais.

Si jamais tu reviens, Nate, tu sauras où me trouver. The Academy. Je suis toujours ici. Les pieds en l'air. En train de mastiquer du popcorn. Une place libre à mes côtés.

— Kaylee Rose Williams

ADDICTION | RÉÉCRITURE

© MOONLIGHTS-BABY, 2022

Addiction | réécriture [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant