Addiction | réécriture [TERMINÉE]

quatre

CHAPITRE QUATRE

« Elle ne fera pas souffrir Nathan. »

* * *

Au début du mois d'avril, je rencontre enfin Kirsten. Comme elle et comme Nathan, je redoutais un peu. Au bout du compte, ça se passe de façon assez naturelle.

Nathan célèbre son septième mois de sevrage. On se donne rendez-vous à cette fameuse réunions des jeunes AA de Portland, dont il est maintenant un habitué. En entrant, je les aperçois tous les deux assis sur des chaises pliantes dans la rangée du milieu. Kirsten semble nerveuse. Nathan, égal à lui-même, affiche une mine réjouie et espiègle — jusqu'à ce qu'il me voie approcher.

Quand elle comprend qui je suis, Kirsten se lève. Elle est mince et fine. L'anneau qu'elle porte au sourcil lui mange le visage. Elle est habillée dans un style punk-alternatif-végétarien. Elle doit venir d'une petite ville, ça saute aux yeux.

À part ça, je sens que c'est quelqu'un de très authentique. Je crois qu'elle a peur de moi. J'essaie d'être sympa. En lui donnant l'accolade, je me rends compte qu'elle est encore plus maigre qu'elle n'en a l'air. Son parfum me rappelle vaguement l'odeur des magasins de produits diététiques.

Je ne saurais dire si elle est jolie. En tout cas, elle est dévouée à Nathan. Peut-être qu'il a enfin trouvé chez elle ce dont il avait besoin : moins de prises de tête, plus de générosité.

Je m'assois à côté d'eux, même si ça me gêne un peu. La séance commence par la distribution de médailles. Nathan, comme toujours, est très populaire. Quand il va chercher sa récompense, le public explose de joie. Quelqu'un lui met un petit coup de bonnet derrière la tête au milieu de l'hilarité générale. Un autre crie :

— Hé, Naaaaaaathaaaan, s'pèse d'ivrogne !

Il prend sa médaille, la serre dans son poing et la brandit d'un geste de victoire pendant que tout le monde applaudit et siffle.

Je jette un coup d'oeil à Kirsten. Elle paraît mal à l'aise. Peut-être qu'elle n'est jamais venue dans ce genre d'endroit. Elle ne s'attendait sans doute pas à un sous-sol plein de hooligans et de skaters.

Après la réunion, un groupe de gars emmène Nathan au café du coin, en bas de la rue. Kirsten et moi, on suit le petit groupe et on s'installe discrètement tandis que les garçons plaisantent et taquinent le héros du jour.

Tout en sirotant mon café, je demande à Kirsten si elle a trouvé un job à Portland. Elle me répond qu'elle vend des fleurs en ville. Je connais la boutique — il y a toujours des petites minettes hippie derrière le comptoir. C'est parfait pour elle.

Elle m'interroge à son tour et je lui explique que je suis en Terminale au lycée. Elle l'ignorait. Elle me croyait plus vieille. Elle regarde Nathan, loir de penser : « Mais pourquoi tu ne me l'as pas dit ? »

Notre conversation est bizarre. Maladroite. Mais Kirsten est gentille. Bourrée de bonnes intentions. Elle ne fera pas souffrir Nathan. Ce qui ne m'empêche pas de m'inquiéter pour lui. Je ne sais pas pourquoi.

Il vient de passer sept mois sans toucher à la boisson, il s'est fait de nouveaux amis aux AA, il a une petite-amie folle de lui et il est payé pour nettoyer les moquettes dans les immeubles de bureaux.

Mais je m'inquiète quand même.