dix-sept

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CHAPITRE DIX-SEPT

« Je me vois déjà humer le parfum amer et sentir les bulles pétiller dans mes os. »

* * *

Le lendemain, j'exécute ma routine quotidienne avec application. Je me lève, je m'habille, je me rends à la laverie sous la pluie. Là-bas, je lave des draps pendant trois heures avant d'aller à ma séance de thérapie de groupe où je raconte un mensonge sur mes parents pour qu'on me fiche la paix.

Après cela, je rentre dîner au pavillon et je regarde Access Hollywood avec mes camarades de chambres. À sept heures et demie, je vais me changer. Margarita bouquine sur son lit. Du coin de l'oeil, je l'aperçois qui me sourit d'un air innocent. Une fois prête, je dégote mon vieux parapluie noir au fond du placard. J'enfile ma veste. Sitôt sortie, je souffle un bon coup, renifle, plisse légèrement des yeux à cause du vent qui frappe mon visage et fourre une main dans ma poche. J'ouvre mon parapluie au-dessus de ma tête avant de descendre les marches d'un pas léger et de m'élancer dans la nuit pluvieuse.

Je décide de marcher jusqu'à une station-service Exxon sur la nationale 19. Elle est assez loin. Il faut compter une demie heure de trajet environ. S'éloigner autant de Spring Meadow n'est clairement pas autorisé mais je m'en fiche. Je n'évoque pas ce léger détail.

Les lampadaires sont inexistants ici, à la campagne, et il fait très noir. Mes yeux distinguent tout juste les limites de la chaussée. En fait, ça me plait bien de traverser ainsi les ténèbres brumeuses écrasées par la hauteur impressionnante des arbres.

Trente minutes plus tard, la station Exxon apparaît, tel un oasis dans l'obscurité. Il y a une supérette Handy Mart à côté — pile ce qui me fallait. Je secoue mon parapluie pour l'égoutter et je rentre avec mes Stan Smith trempées. Je fonce droit sur un distributeur de chocolats chauds. Tandis que je fouillais mes poches à la recherche de pièces de monnaies, je fais volte-face et tombe par hasard sur un frigo à bières. Un mur entier de bières : des packs de six, tous les formats de bouteilles de 25 à 150 centilitres, plusieurs sortes de canettes, des mini-fûts... Je me vois déjà humer le parfum amer et sentir les bulles pétiller dans mes os.

L'espace d'un instant, je reste figée sur place. Le gars qui tient la boutique lit un magazine dans sa petite cahute. Je pourrais sans soucis voler tout ce que je veux. Je prends un chocolat chaud avant de me diriger vers la caisse pour payer. Une seconde plus tard, je suis sortie.

Comme je n'ai nulle part où allée et qu'il n'y a pas le moindre banc, je m'assieds par terre, adossée contre le mur du Handy Mart. Je bois une gorgée de chocolat chaud et je pose ma tête contre le mur. Au-delà de la station, un vent d'hiver paresseux balance mollement les cimes d'arbres. J'entends un bruissement sourd.

Un pick-up s'arrêt à côté d'une pompe. Un homme en ciré jaune descend et se serre de l'essence. Je l'observe en silence.

Quand il est l'heure de rentrer, je me lève en m'appuyant sur ma main. Je me dégourdis les jambes et je me frotte les fesses pour faire tomber la poussière. Puis, je jette mon gobelet à la poubelle.

Ensuite, je reprends le chemin en direction de Spring Meadow.

Addiction | réécriture [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant