Addiction | réécriture [TERMINÉE]

trois

   CHAPITRE TROIS

« Une racaille tout droit sortie de son mobile home. »

* * *

Le lendemain, j'ai rendez-vous avec Ashley, ma référente.

— Je sais maîtriser ma colère.

— Tu en es sûre, Kaylee ?

— Non.

Je suis obligée de l'admettre à contrecœur. Affalée dans le fauteuil, je me cure les ongles. Il y a un dépôt verdâtre dessous depuis que j'ai lavé les toilettes. On est de corvée de ménage dans les WC pendant la deuxième semaine au pavillon.

Ashley me scrute avec son petit air habituel.

— À ton avis, d'où viens cette colère ?

Les yeux rivés sur l'ongle de mon pouce, je réponds :

— De mon cerveau malade ? De mon enfance difficile ? Ou peut-être qu'au fond, je suis juste mauvaise de nature ? Qu'est-ce que j'en sais, moi ?

— Tu n'es pas mauvaise.

— Ça, c'est vous que le dites.

Ashley soupire.

— Alors, comment trouves-tu la résidence de transition ?

— Vous voulez parler du pavillon ? Il est sale et dégoûtant. Il me donne envie de gerber.

— Pourquoi tu ne le nettoies pas ?

— Mais je le nettoie. Je n'arrête pas. Quand je ne suis pas à mon prétendu « job », à la laverie. Je suis une adolescente, je devrais travailler au centre commercial. Plier des pulls chez Gap et draguer des garçons emo au Cineplex.

— C'est ce que font les adolescents normaux, d'après toi ?

— Je n'ai aucune idée de ce que font les ados normaux. Et je m'en fous.

Elle m'observe derrière son bureau.

— Comment tu t'entends avec les autres filles ?

— Alors... Kylie est une voleuse. Angela déteste les blancs. Madison boit quinze canettes de Pepsi Light par jour et si vous avez le malheur d'en toucher une dans le frigo, elle vous descend.

— Je croyais que Kylie n'avait pas volé ton dentifrice, en fin de compte ?

— Non. Mais ça ne veut pas dire qu'elle ne vole rien. Vous avez vu sa tête ? Une racaille tout droit sortie de son mobile home.

— Et, Emily ?

— Quoi, Emily ?

— Vous avez le même âge, toutes les deux.

— Elle a dix-huit ans. Moi, seize. C'est pas du tout pareil. D'ailleurs, je voulais vous poser une question : pourquoi on est obligées de vivre avec des vieilles ? Je hais les vieux. On ne pourrait pas habiter dans un pavillon avec que des jeunes dedans ?

— Tu penses vraiment que ça changerait quelque chose ? m'interroge patiemment Ashley. Tu les aimerais mieux ?

   En mon fort intérieur, je reconnais que non.

— Quel est le problème avec Emily ? insiste-t-elle.

— Il n'y a pas de problème avec Emily. C'est juste que je n'ai pas besoin d'amis en ce moment. Je n'ai pas bu une seule goutte d'alcool, ni pris de drogue, depuis trente-huit jours. C'était ça, l'objectif, non ? Qu'est-ce que vous voulez de plus ?

— As-tu réfléchi à ce qu'elles ressentaient ? As-tu déjà songé que c'était dur pour Angela d'être ici ? Ou pour Emily ? Tu pourrais peut-être les aider, d'une manière ou d'une autre ?

— Pourquoi je les aiderais ? Comme si elles m'aident, elles ! Vous nous enfermez ici et après, vous voulez qu'on fasse votre boulot à votre place ? N'importe quoi...

— Je suggère seulement que la situation serait plus facile si tu te faisais des amies.

— Je n'en veux pas ! J'ai assez de mes propres problèmes.

   Ashley continue de me dévisager.

— Tu as besoin des autres, Kaylee. Une fois qu'on sait ça, et qu'on l'accepte, on se sent beaucoup plus libre, crois-moi. S'ouvrir à autrui, se laisser épauler... C'est une délivrance.

— Ouais, bien sûr... Il ne faut pas trop m'en demander non plus, d'accord ?

— Bon. Si tu le dis.