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CHAPITRE CINQ

« Un jour, j'étais très, très soûle, et c'est parti tout seul. »

*  *  *

Emily et moi sommes au salon. On s'installe afin de pouvoir jouer aux cartes. Tandis que je les distribue, Emily entame la discussion :

— Tu vas te remettre à boire en sortant d'ici ?

— Je n'en sais rien. Et toi ?

Elle examine sa main et se défausse.

— En tout cas, je peux te dire que je ne prendrais plus jamais le volant après avoir picolé. Ça, c'est sûr !

Emily a failli tuer sa meilleure amie en conduisant bourrée. La fille est toujours à l'hôpital. Elle va rester paralysée, apparement, à cause d'un problème avec une de ses vertèbres et sa moelle épinière. Emily n'en parle jamais — mais tous les deux jours, elle appelle les parents de son amie, ou directement celle-ci.

Après, elle ne décroche plus un mot de la journée.

Je tire une carte de la pioche.

— Hum... mais comment vas-tu éviter de conduire ? Il faut bien se déplacer, non ?

   Elle hausse les épaules.

— Peut-être que mes parents accepteront de me prendre un chauffeur.

— Ouais, genre un majordome.

— Avec un peu de chance, il sera canon. Peut-être qu'il ressemblera à Juan, le vigile.

Emily a flashé sur Juan, le vigile, dès son arrivée. Dustin, qui travaille en cuisine, lui plaît aussi. Ainsi que Sam, de l'entretien.

Il ne peut pas se passer grand chose à Spring Meadow, cela dit. Le règlement interdit les flirts. Et ils ne plaisantent pas avec le règlement.

Je bois une gorgée de café volé dans la tasse d'Emily. Je donnerais n'importe quoi pour un verre de Jack Daniel's, de vodka, d'une simple bouffée sur un joint, ou... bref, de quelque chose.

— Déjà, comment peut-on sortir avec quelqu'un sans avoir bu ? Me demande Emily.

— Aucune idée.

— Franchement, ça me dépasse.

Je tire une carte et je la pose sur le dessus de la pile.

— Je m'imagine à une fête en train de dire aux autres : « Oh non, merci, je ne bois jamais de bière », poursuit Emily. La bonne blague. Je ne pourrais jamais.

— Le plus simple, c'est encore de se cacher.

— Je ne vais pas me terrer chez moi, pendant le restant de mes jours, dit-elle en jouant à son tour.

— Il y a sûrement d'autres moyens de rencontrer des garçons.

— Ashley prétend que ça ne m'empêchera pas de fréquenter du monde. Mais t'en connais beaucoup, toi, des personnes de notre âge qui ne peuvent même pas avaler une foutue bière ? Je vais passer pour quoi ?

On abandonne notre partie le temps qu'Emily aille fumer sa cigarette dehors. Assise près d'elle, je contemple le ciel.

— Tu as un copain chez toi ? M'interroge-t-elle.

— Je n'ai jamais eu de véritable copain.

— Comment ça se fait ?

— Je ne sais pas. Sans doute un effet de ma personnalité rayonnante.

— Je me demande si j'ai déjà couché avec quelqu'un sans être bourrée... ça m'étonnerait.

— Moi, je suis sûre que non.

   Elle tourne sa tête vers moi.

— À ton avis, c'est comment ?

— Bien, je suppose. Enfin, vu la façon dont tout le monde en parle... avouais-je en haussant légèrement les épaules.

— Je n'arrive même pas à m'imaginer faire quoi que ce soit sobre, déclare Emily, le visage illuminé par le bout incandescent de sa cigarette. Je finirais par me tuer. J'ai déjà essayé, une fois.

— Ah ouais ? Ça s'est passé comment ?

C'est à mon tour de poser mon regard sur elle. Le froid frappant mon visage, je suis obligée de plisser les yeux et d'afficher une mine crispée sur la face.

— J'ai raté mon coup, forcément. Je rate tout.

— Moi, je risque de frapper quelqu'un.

— Sans rire ? S'exclame-t-elle en écarquillant les yeux. Ça t'arrive de frapper ?

— Parfois. Quand j'ai bu. Je suis un peu connue pour ça, pour tout te dire.

Je tourne la tête et je fixe un point invisible devant moi.

J'esquisse un léger sourire en coin en me rappelant d'une de ces fameuses soirées où, ivre comme à mon habitude, j'ai malencontreusement balancé mon poing dans la figure de quelqu'un.

Résultat : une bagarre a éclatée. Et devinez qui a gagné le combat ?

— Ah bon ? Par exemple, tu mets des coups de poings et tout ?

— Ouais.

Du coin de l'œil, je peux voir un sourire se dessiner sur ses lèvres.

— C'est génial ! Énorme !

Je fronce légèrement le nez et je fourre mes poings dans les poches de ma doudoune.

Emily réfléchit un moment.

— J'adorerais coller des raclées. Comment t'as appris ?

— Un jour, j'étais très, très soûle, et c'est parti tout seul.

Addiction | réécriture [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant