huit

39 2 0
                                    

CHAPITRE HUIT

« Je m'ennuyais tellement à la maison que je pétais un câble. »

* * *

Le mardi suivant, on se fait belle pour la soirée ciné, Emily et moi. On a pas grand-chose sous la main, mais on se tartine le visage du mieux qu'on peut avec le maquillage bon marché acheté au Rite Aid. Le van arrive. À part le chauffeur, il n'y a que Vern et une inconnue à bord.

Vern est de bonne humeur. Il nous raconte des blagues salaces sur tout le trajet jusqu'à Carlton. On s'esclaffe en jouant à celui qui dira le truc le plus dégueulasse. La femme est horrifiée. Elle me fait penser à une mère au foyer venue d'une banlieue chic et accro au Stilnox.

Une dizaine de spectateur sont installés dans la salle. Vern, Emily et moi, on se moque du film. On bavarde. On invente des ragots sur Juan, le vigile. Les autres n'apprécient pas. À un moment, quelqu'un menace d'appeler le gérant de la salle.

— Vas-y, essaie, dit Emily. Et ma pote Kaylee, là, elle va te botter le cul !

Je me ratatine sur mon siège en protestant :

— Mais non !

— Mais si, et je t'aiderais !

Une fois de retour au pavillon, Emily n'a pas très envie d'aller dormir. Alors elle incite les autres à regarder America's Next Top Model à la télé et à faire des parties de Gin Rummy. Évidemment, je refuse. Je préfère rester en tête à tête avec mes mots croisés.

— Allez, viens ! Me crient les filles.

Je fais la sourde oreille. Je fais semblant d'effacer une réponse dans la grille. Elles finissent par laisser tomber et continuent de regarder America's Next Top Model et à jouer en faisant comme si je n'étais pas là. Les filles se mettent à raconter leurs expériences bizarres avec les garçons. Je prête discrètement oreille à ce qu'elles disent.

Angela parle de son cousin qui a commencé à la maquereauter en la vendant à ses copains quand elle avait douze ans. Emily raconte comment elle a perdu sa virginité en Quatrième, un soir où elle était tellement bourrée qu'elle ne tenait plus debout.

— C'était facile pour les frères Hartley, puisque je ne pouvais pas m'échapper.

Ça s'est produit dans le salon d'extérieur de ses parents, pendant qu'ils faisaient la fête chez eux. J'ai l'impression que la famille d'Emily est un peu cinglée. Elle n'a même pas eu besoin de quitter son domicile pour se mettre dans de beaux draps.

« Moi, c'est tout le contraire », pensais-je. Je m'ennuyais tellement à la maison que je pétais un câble. Mes parents me pinçaient souvent en train de faire le mur, du stop, ou d'essayer de partir avec la BMW de ma mère.

Cette nuit-là, alors que je dors paisiblement, j'ai une attaque de fourmis si violente que je repousse mes couvertures en battant des jambes avant de donner au moins vingt coup de pied dans le mur. Puis, je reste allongée, essoufflée, à jurer tout bas. Personne ne réagit. Même pas Angela qui dort au-dessus de moi.

Question d'habitude. Cela arrive souvent que quelqu'un disjoncte la nuit à Spring Meadow. À force, on devient tolérant.

Addiction | réécriture [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant