TOME 3 // Angels Of Hell : Monster

Chapitre 15

« S'il fallait se perdre, pour arriver à se retrouver ? »

Dash

Une fois de plus, il s'est mis en danger. Je n'arrive pas à comprendre comment on peut volontairement se blesser. Je ne l'ai jamais réellement compris, mais quand nous étions ensemble, il n'a jamais poussé ses limites comme ça.
Pas besoin d'être devin, pour se rendre compte que la pression en réunion était bien trop forte, surtout après la nuit que nous avions passée.
Math a beau être un surhomme, il reste un homme brisé par la guerre avant tout. Il ne laisse entrer personne dans sa bulle, de peur probablement de les perdre. Par ailleurs, je n'avais jamais saisi la chance que j'avais jusqu'à maintenant. La chance de le connaitre réellement et ne pas avoir juste l'image qu'il donne aux gens, cette image qu'il s'est construite en arrivant au club.
Au fond, Math est un homme sensible, avec un cœur énorme, c'est une personne comme on en croise rarement dans sa vie. C'est une personne unique. Enfin, c'était Ma personne.
Je n'avais jamais compris que l'on puisse trouver la bonne personne, mais que ce ne soit pas le bon timing, et bien aujourd'hui, j'en prends toute la mesure. Ce n'était peut-être simplement pas le bon moment pour nous. Prendre conscience de cette réalité est douloureux, prendre conscience de cette réalité fait mal.
Quand je l'ai vu traverser la StreetRide à grandes enjambées et fuir comme s'il avait le diable aux trousses, j'étais à peu près sûr de mon compte. Ou il finissait entre quatre planches ou l'on ne le voyait plus pendant une éternité.
J'avoue que l'angoisse m'a saisi. Si j'avais pu, je lui serais partie derrière, pourtant je sais que je suis certainement pas la personne dont il a besoin en ce moment. Je serais venu le percuter une fois de plus, et je me refuse à le faire souffrir. Je dois me faire à l'idée, que peut-être un jour, nous nous retrouverons, ou simplement la vie nous séparera.
Je suis perdue dans mes pensées quand une pression sur mes épaules me fait sursauter. D'un geste sûr, je me retrouve nez à nez, avec ma plus belle. Nous n'avons jamais eu besoin de parler pour se comprendre. Son visage est tellement expressif que ça en est déroutant, parfois. Je plonge dans son regard. Étrangement, sa petite étincelle qui l'a rend unique, n'a jamais disparu malgré tous les progrès qu'elle a faits. Elle se dandine d'un pied sur l'autre en se mordillant les lèvres comme si elle attendait quelque chose. Un nouveau regard de sa part et je comprends ce qu'elle attend. J'ouvre mes bras, il ne lui en faut pas plus pour se jeter sur moi. Je serre les dents quelques secondes, le temps qu'elle trouve sa place. Elle finit par plonger son nez dans mon cou.
Depuis que je suis revenu, nous n'avions pas eu ce genre de contact. Très certainement parce qu'elle m'en voulait. Dans un murmure, comme une prière, sa voix résonne à mon oreille :
- Tu ne me laisseras plus Dash ?
L'émotion me saisit une nouvelle fois, je ravale un sanglot avant de hocher timidement la tête. Une fois de plus sa petite voix sonne à mon oreille :
- Promis.
Ma voix rauque d'émotion, lui répond sans tarder.
- Promis.
Elle resserre son étreinte autour de mon cou. Je comprends alors qu'elle a peur, peur pour nous, peur pour Math, peur que l'un de nous perde la vie. Je crois que pour la première fois, elle prend réellement conscience que nous sommes en danger.
Je resserre mon étreinte sur elle, et plonge également dans ses cheveux. J'ignore combien de temps, nous restons comme ça, lorsqu'un raclement de gorge nous tire de notre moment. Je relève la tête et tombe nez à nez avec Pine. Son air inquiet vissé sur le visage et une étincelle de souffrance dans le regard. Cette dernière ne la quitte plus vraiment depuis que Léna n'est plus là, mais cette fois-ci, elle a pris une coloration plus intense.
L'angoisse qui avait quelque peu disparu depuis que Léa était dans mes bras, refait surface immédiatement. Une seule idée me vient en tête :
Il est mort

Comme si nos pensées étaient connectées, Léa et moi nous décomposons sur place. Pine s'agite sur place avant de se rendre compte de notre état, très vite il pose sa main sur l'épaule de Léa, comme pour la rassurer.
- Il va bien, enfin, il est en vie.
Je fronce les sourcils, pas certain d'aimer la fin. Pine se racle la gorge avant de poursuivre.
- Il a cartonné à moto, il a globalement que des éraflures sur une grande partie du corps et la moto est fichue. Health et le Démon ramène Math, il va avoir besoin de soins. J'ai envoyé Skatter et Speedy chercher la moto.
Je hoche la tête un peu mécaniquement, le temps d'intégrer ce qu'il est en train de dire. Léa quant à elle commence à bouillir de colère. La totalité de son corps est tendue et ses joues commencent à rougir. J'ai quelque peu l'impression qu'elle est en apnée, comme si elle retenait sa colère pour ne pas exploser. A son oreille, je lui chuchote de respirer. Ce qu'elle recommence à faire presque instantanément. Clairement, sa colère, ne s'est pas éteinte, mais c'est comme si elle était repassée en mode Warrior. Plus rien ne transparait. Sa voix tonne à travers le StreetRide :
- Pa', j'ai besoin d'un bilan et d'un timing pour me préparer. Rappel Doc, on ne sera pas trop de trois. Sandy, tu vas préparer la salle.
Elle se retourne d'un air autoritaire vers moi. Elle attrape à la voler, Elliot et me le colle dans les bras. Nous sommes tous les deux un peu surpris, mais elle ne nous laisse pas le temps de réfléchir.
- Dash, tu t'occupes des enfants, vous filez dans la cuisine. Je refuse qu'ils assistent au passage de la connerie incarnée.
Elle siffle ces derniers mots entrent ces lèvres. Clairement, elle est folle de rage. Personne ne pipe, un mot et chacun s'exécute.
Je récupère Jojo puis Elliot et je file dans la cuisine où je retrouve la belle Clara, en pleine cuisine.
Cette femme est une pépite, elle n'a rien oublié des bêtises que nous avions pu faire, et même si elle ne m'a jamais eu en cours, elle se rappelle très bien de moi.
Dans un silence désarmant, elle installe les jeunes autour d'un jeu sur la table de la cuisine. En quelques secondes, ils sont pris à ce qu'ils sont en train de faire. Le silence est brisé que par les voix qui retentissent parfois de l'autre côté du StreetRide.
Je reste un moment à les regarder, en m'émerveillant de l'innocence et de la simplicité des enfants.
Clara vient s'asseoir à côté de moi, elle pose sa main sur ma cuisse. Je me tourne vers elle, mais elle ne me regarde pas. Elle sourit devant le spectacle que nous offrent les enfants. Délicatement, elle resserre mon moignon et sa voix douce résonne à mon oreille :
-  Tu sais Dash, si c'est la bonne personne, peu importe le temps que ça prend, vous vous retrouverez.
Sa voix se serre traduisant parfaitement l'émotion qu'elle met dans chaque mot. Délicatement, elle relâche mon moignon, elle se redresse avec une grâce qui lui est propre et elle dépose un baiser sur ma joue.
Je reste quelques minutes un peu béa, par la tendresse dont elle peut faire preuve. Puis, les mots qu'elle a prononcés viennent me percuter, comme si elle parlait de son vécu, c'est un peu comme si elle me confiait un bout de son histoire.
Le silence retombe dans la pièce, mais cela ne dure pas. Un cri strident vient couper la sérénité qui s'était installée dans la cuisine. Pas besoin d'aller voir pour deviner qu'il s'agit de Math. Au vue des cris provenant de Léa, je me doute qu'il doit être en train de passer un sacré moment.
Même si je sais qu'il souffre, je tire une certaine satisfaction du savon qu'est en train de lui passer Léa.
Le calme refait son apparition dans le StreetRide. Je choisis cet instant précis pour refaire mon apparition dans le pub. Je veux savoir ce qu'il en est et dans quel état il est. Je pousse ma carcasse jusqu'au bar où je retrouve Pine, Clay et les gars en train de boire une bière.
Sans un mot, Clay m'en tend une. À la tête qu'ils font, je comprends facilement que son état n'est pas réellement top. Je m'installe avec les gars au bar sans un mot.
Nous sommes tous perdus dans nos pensées. Le temps s'étire. Une heure, puis deux, puis trois. J'avoue que je commence à m'impatienter et à m'inquiéter. Ma jambe commence à sauter sur le cale pied de mon fauteuil en faisant un bruit métallique. Plus le temps avance et plus je m'impatiente. Je suis perdu dans le liquide ambré qui a réchauffé dans mon verre quand une main délicate se pose sur ma jambe. Je relève la tête et tombe nez à nez avec Léa. Elle hoche la tête de façon affirmative avant de m'indiquer l'infirmerie d'un mouvement de tête. Sans même réfléchir, je file vers les escaliers. À cloche pied, je me traine comme je peux dans les escaliers pour trouver l'infirmerie. Je passe la porte et la vision qui s'impose à moi me désarme.
Math est allongé sur la table d'auscultation, la moitié du corps complètement bandé de pansement à gauche. Il semble endormi, mais ces traits sont tirés dans une grimace de douleur certaine.

Putain, mais quel connard... Une fois de plus, il a poussé toutes les limites...

Je prends une grande inspiration avant de m'avancer à cloche pied vers lui. Je m'appuie contre la table, et en réalité, je n'ose même pas le toucher. Je constate les dégâts plus étendus, liée à son automutilation.
La culpabilité me saisit. Tout cela est ma faute, je n'aurai jamais dû revenir. Mes doigts se plantent dans la table d'auscultation, je sens la mousse pliée sous mes doigts. J'ai envie de hurler, de pleurer, une fois de plus rien ne sort. Je ravale mes émotions, je n'ai pas le droit d'être triste, je n'ai pas le droit, tout cela c'est de ma faute.
Une main se pose sur mon épaule, surpris, je fais volte face. La totalité de mon corps est tendu, j'ai les poings serrés. Je me fige instantanément quand je découvre Sandy, le visage légèrement crispé et prêt à parer mes coups.
- Cool Dash, ce n'est que moi...
Je souffle un bon coup, obligeant mon corps à se détendre. Je dessers les poings progressivement.
- Je sais Dash, je sais quel effet ça fait... Je ne te raconte pas comment je suis en colère contre moi, de ne pas avoir vu qu'il avait replongé.
Putain, mais Sandy, c'est de ma faute...
Je n'ai pas besoin d'exprimer ma pensée à haute voix, que Sandy prend le contre-pied.
- Non, ce n'est pas ta faute Dash, ça fait trop longtemps qu'il donne le change pour que ça tienne. Toi comme moi, on sait qu'à force de se cacher derrière un masque, un jour où l'autre, il finit par tomber. Alors, je ne dis pas que ce que t'a fait faire Pine, n'a pas servis de catalyseur, mais cela aurait craqué. À force de jouer à quelqu'un d'autre, on se perd, je crois que Math est arrivé à un moment de sa vie où il s'est perdu dans l'enfer qu'il s'est imposé.
Je hausse les épaules, un peu abattu par cette révélation. La seule question qui me traverse l'esprit franchi enfin la barrière de mes lèvres.
- Comment il va ?
Sandy souffle puis pose un regard empli de tristesse sur le corps meurtri de Math.
- Physiquement, il a des hématomes sur tout le corps, sa jambe gauche et son bras gauche ont été brulés par le bitume. Mais globalement ça va. Doc en a profité pour suturer la plaie qu'il s'était faite au bras. En soi, ce n'est rien de dramatique. Psychologiquement, c'est autre chose. On en reparlera quand les sédatifs auront arrêté de faire effet.
Sandy me donne une dernière tape dans le dos avant de sortir de la pièce. Je pose un dernier regard sur le corps de Math avant d'aller m'échouer dans le fauteuil dans un coin de la pièce.