Aller Simple en Enfer [T.1]

23. Le Syrien

Vendredi 12 février 2019 – 10h39 AM, Camp Principal.

- Tiens. Je t'en ai mis plusieurs, cette fois. Comme ça, tu es tranquille pour deux mois.

- Merci, Youssra.

- Je t'en prie.

Les deux femmes se sourirent, assises de part et d'autre du bureau de fortune de l'infirmière. Lucia avait informé la veille au soir Dante qu'il lui fallait retourner la voir car sa boîte de pilules arrivait à terme. Son geôlier l'avait brièvement dévisagée, comme pour dire « à quoi est-ce qu'elles te servent ? » avant de finalement lui permettre de s'y rendre le lendemain.

Depuis le soir où elle avait été voir les sœurs Martin, la jeune fille n'avait plus commis aucun écart. Elle avait bien conscience d'avoir frôlé la catastrophe et s'était donc résolue à se tenir tranquille pendant au moins quelques jours. Dante, de son côté, ne lui en avait plus reparlé. C'était mieux ainsi.

- Est-ce qu'il te faut autre chose ? s'enquit l'Algérienne en la voyant perdue dans ses pensées.

- Oh, euh... oui, se réveilla Lucia. Est-ce que tu crois que je pourrais avoir des... somnifères ?

- Des somnifères ?

- Oui.

Youssra la dévisagea étrangement, aussi sa patiente se sentit-elle obligée de poursuivre, mal à l'aise :

- J'ai... des difficultés pour dormir. Et je me suis dit... tu sais ? Que tu aurais peut-être quelque chose pour m'aider.

- J'en ai, oui, approuva prudemment l'aînée. Seulement... je ne suis pas sûre que j'ai le droit de t'en donner.

- Pourquoi ça ?

- Qui me dit que c'est réellement pour des problèmes de sommeil que tu veux ces cachets ?

Ce fut au tour de la rousse d'être surprise. Elle comprit rapidement où son interlocutrice voulait en venir et un semblant d'agacement la traversa.

- Non, Youssra, rassure-toi : je ne compte pas me « foutre en l'air ». J'aimerais juste passer une nuit correcte pour la première fois depuis plus d'un mois. S'il te plaît.

L'infirmière ne paraissait pas convaincue, au grand dam de Lucia. Qu'est-ce qu'ils avaient tous pour l'instant à lui taper sur le système ?! Entre cette femme qui refusait de lui prescrire un médicament parce qu'elle la croyait sur le point de se suicider et Jonas... Jonas qui l'avait dénoncée au sujet de cette stupide promenade non accompagnée.

Le lendemain de son premier jour de travail, le blond était revenu pour la conduire à la cuisine. Il s'était comporté comme si de rien n'était, aussi enjoué qu'à l'accoutumée. Mais il s'était rembruni en constatant le mutisme de la cadette. Il avait cherché à comprendre ce soudain comportement glacial à son égard, mais elle s'était tue. Il savait très bien ce qu'il avait fait.

Le jour d'après, il n'était pas venu la chercher. C'était Loïc qui s'en était chargé, prétextant que Jonas était retourné sur le terrain avec Dante. Ça avait un peu attristé la jeune fille, mais elle avait fait mine de rien et s'était contentée de suivre son nouveau chaperon. Le frère du meneur du camp et Aaron étaient devenus depuis les seuls dont elle appréciait la compagnie.

- Comment ça se passe avec Dante ? l'interrogea soudainement Youssra.

- Pourquoi cette question ? se méfia Lucia.

- Simple curiosité.

Sa patiente comprit sans mal que c'était une façon détournée de lui demander si elle avait des raisons de vouloir en finir. Dans les faits, Lucia en avait au moins une centaine. Mais la simple idée d'être capable un jour de revoir sa famille et de retrouver sa liberté l'en empêchait. Elle ne pouvait pas baisser les bras. Pas déjà.