26. Dystopie utopique

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Samedi 13 février 2019 – 14h35 PM, Camp Principal.

Jonas et Lucia marchaient côte à côte à travers le camp d'un pas relativement rapide. La seconde, le chiffon toujours pressé sur sa paume, lançait des regards soucieux tout autour d'eux : dans chaque recoin, un pirate était, au choix, soit en train de rendre le contenu de son estomac, soit avachi sur une caisse ou à même le sol et comatait, un filet de bave à la commissure des lèvres, soit en train de sauter une prostituée tout aussi arrachée que l'ensemble des autres habitants des lieux sans chercher à se cacher des regards d'autrui. La pudeur n'était pas quelque chose qui avait encore beaucoup de sens, sur Lost Island.

La musique, lancée à fond dans plusieurs grosses enceintes disposées tout autour de la place principale, l'assourdissait. Les beuglements, les rires et l'odeur tenace de l'alcool régnant en maître en ce jour de débauche ne contribuaient pas à lui donner moins mal au crâne. C'était un véritable bazar. Projet X, c'était de la gnognote à côté.

La jeune fille nota mentalement qu'avec tous ces trafiquants complètement torchés, passer inaperçue avec les sœurs Martin allait être un jeu d'enfant. Elles pourraient encore leur courir sous le nez qu'ils les verraient à peine. Encore lui fallait-il se débarrasser de son garde du corps/nounou...

Ses yeux sombres se posèrent sur le concerné en même temps que celui-ci la regardait en retour. Il lui sourit et, à nouveau, elle l'ignora. Cette réaction parut l'attrister. En d'autres circonstances, peut-être se serait-elle sentie coupable. Mais pas maintenant. Elle était trop stressée pour se permettre d'avoir des états d'âme.

Et puis, lui aussi allait bientôt se retrouver derrière les barreaux. Alors autant oublier cette étrange amitié les ayant liés. Elle n'aurait pas l'air très crédible devant un juge si elle expliquait que l'un de ses ravisseurs était devenu un très bon camarade. Il restait l'ennemi. Aussi... sympathique puisse-t-il être.

- La fête te plaît ? l'interrogea-t-il alors qu'ils passaient à côté de l'estrade où avaient défilé les candidats.

- Hm hm, répondit-elle distraitement.

Son regard se posa sur la porte de la case aux otages, vaguement discernable au loin. Les pirates avaient remis les barricades en place, réinstaurant de ce fait la frontière entre eux et les prisonniers. Parfait. Ça lui enlevait une sacrée épine du pied. Peut-être qu'en...

- Est-ce que je peux savoir ce que je t'ai fait pour que tu sois aussi froide avec moi ?

Lucia faillit percuter Jonas, qui s'était brusquement arrêté pour se tourner dans sa direction. Elle battit des paupières, surprise, avant de jeter un œil à la ronde : ils étaient à proximité de l'infirmerie et peu de pirates se trouvaient aussi loin dans le camp. C'était peut-être sa chance...

- Je ne suis pas froide, finit-elle par répliquer en venant plonger ses yeux noisette dans ceux, azure, de son interlocuteur.

- Oh, je t'en prie, arrête ! Je vois bien que tu me tires la gueule depuis le début de semaine ! J'aimerais juste savoir pourquoi histoire de régler ça et de retrouver la fille avec laquelle je déconnais lundi encore !

- Jonas, je t'assure : il n'y a rien.

- Lucia, je te l'assure également : il y a quelque chose.

Le blond ne semblait pas décidé à reprendre leur route tant que la jeune fille ne lui aurait pas fourni de réponse. Elle le vit tout de même vérifier d'un regard que sa main ne saignait pas trop. Lucia en fit de même en retirant précautionneusement le chiffon : l'écoulement s'était tari et maintenant, elle pouvait mieux voir la blessure. Elle ne nécessiterait peut-être pas de fil, au final.

Aller Simple en Enfer [T.1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant