37. Bain exquis

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Mercredi 17 mars 2019 – 19h42 PM, Camp Principal.

La journée avait été pour le moins ennuyante. Enfermée dans cette chambre faisant office de prison, Lucia était restée assise sur le rebord de sa fenêtre à fixer l'extérieur. Elle détestait ça. Elle détestait renouer avec ses vieilles habitudes acquises lorsqu'elle était séquestrée 24/24h et 7/7j dans les appartements de son ravisseur. La solitude la tuait à petit feu. La solitude et le silence. Les derniers effets de la drogue sur son organisme n'arrangeaient rien, la poussant un peu plus loin dans la folie.

Dès qu'elle fermait les yeux, des visions cauchemardesques lui sautaient au visage : les cheveux sanglants de Juliette Martin ; les barreaux de sa cage où l'araignée tissait inlassablement sa toile ; la lune, ronde et pleine, qu'elle avait vu juste avant d'être achetée ; le corps gonflé par l'eau d'Agnès, perdu quelque part au fond du Pacifique ; le regard d'un bleu hypnotique de Lungelo Krüger...

Mais pires que tout, des visions agréables s'entremêlaient aux précédentes : le doux sourire d'Oliver ; l'odeur florale d'Anissia ; la chaleur des bras de son père ; la voix de sa mère ; les derniers moments de joie qu'elle avait vécu sur cette plage avant l'arrivée des pirates. Des souvenirs d'une vie lointaine. Des souvenirs dont elle n'avait même plus l'impression qu'ils étaient les siens.

Rongée par ce trop-plein d'émotions, la jeune fille avait essayé de s'occuper en rangeant la chambre. Ainsi, elle s'était appliquée à ramasser les mégots sur la moquette, à nettoyer les traces de cendre, à récolter les bouts de verre éparpillés aux quatre vents. Mais ça n'avait pas suffi. Sa tâche terminée, ça avait recommencé de plus belle.

Alors, comme elle le faisait autrefois pour se détendre après une journée stressante, Lucia s'était enfermée dans la salle de bain et s'était fait couler un bon bain bouillant. Le contact de l'eau mousseuse sur sa peau frémissante lui avait permis de calmer ses nerfs encore à vif depuis son coup de colère du matin. Ses soucis s'étaient noyés pendant qu'elle s'immergeait jusqu'au menton, l'arrière du crâne reposant contre la céramique. Un sourire de bien-être étira ses lèvres et ses paupières se fermèrent d'elles-mêmes.

Sur son épaule, son tatouage tout frais la brûla. Elle savait que l'exposer à l'eau aussi tôt n'était pas bon, mais la rousse n'en avait que faire. Elle espérait sans y croire une seconde qu'il se diluerait dans ce bain et s'effacerait, tout simplement. Elle n'en revenait toujours pas que Dante ait osé lui faire ça. S'il s'était contenté d'une petite fleur ou d'un symbole chinois, à la limite ! Mais non. C'était ses initiales, gravées à l'encre noire dans sa peau. Quand est-ce que sa jalousie cesserait-elle enfin ?

Plongeant ses lèvres sous l'eau, Lucia se surprit à s'amuser à faire des bulles, comme elle le faisait étant enfant. Sarah et elle, dans leur jeunesse, se lavaient ensemble. Sa sœur avait horreur de sa manie à souffler sous la surface. « Tu disperses tous tes microbes dans l'eau, Lucia ! C'est dégueu ! » « C'est toi qu'est dégueu, d'abord ! », criait-elle de sa petite voix enfantine en lui crachant un jet dans la figure. Leur nourrice s'était décidée à les laver séparément quand Sarah avait tenté de noyer sa cadette après la provocation de trop.

Ce souvenir fit rire la jeune fille, avant qu'une ombre de tristesse n'étire ses traits. Sa famille lui manquait. Pourquoi n'étaient-ils toujours pas parvenus à la localiser ? Il devait bien y avoir une personne à Pattaya qui connaissait l'existence de Lost Island, non ? Comme... ce vieux pécheur à qui elle avait demandé l'emplacement du bateau qui l'avait emmenée ici !

Seulement, son entrain retomba comme un flanc. « Personne n'a envie de révéler son existence, hermana. C'est notre secret à nous, les habitants de Pattaya. Notre petite merveille cachée dans le Pacifique... », lui avait confié Jay lorsqu'elle lui avait demandé pourquoi l'île n'apparaissait sur aucune carte. Lungelo devait verser une petite somme d'argent aux témoins de son commerce pour qu'ils tiennent leur langue. Si les parents d'Anissia n'étaient pas parvenus à la retrouver, alors pourquoi en serait-il autrement pour les siens..?

Aller Simple en Enfer [T.1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant