38. Nuit noire

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Jeudi 18 mars 2019 – 02h54 AM, Ile Centre.

La nuit était tombée depuis plus de sept heures. Tout était silencieux sur les côtes au large de l'île nord. Cette dernière se tenait droit devant, à cent mètres plus ou moins. Dans l'obscurité, ce n'était rien d'autre qu'un vaste monticule de terre, de végétaux et de sable qui semblait avoir poussé hors des flots.

De sa position, Oliver distinguait les lumières du Camp Principal, ainsi que son coutumier nuage de fumée rouge, bien qu'il ne soit qu'à peine visible dans la nuit noire. On pouvait néanmoins le deviner à la façon qu'avaient les étoiles de cesser de scintiller sur son passage. Jour et nuit, le feu brûlait. Jour et nuit, et ce depuis presque trois mois, il flottait dans les airs, comme une provocation silencieuse de la part des trafiquants. Si seulement ils l'avaient plus tôt, en débarquant sur cette plage...

Le jeune homme, calé confortablement dans son siège, profita de sa fenêtre ouverte pour écouter les bruits de la jungle, une vingtaine de mètres en arrière, ainsi que ceux, plus persistants, des vagues venant se briser sur la plage où il se trouvait. Il faisait si calme. Pourtant, pas moins de cent-douze personnes s'éparpillaient dans un rayon de cinquante mètres autour de sa jeep. Dissimulés entre les arbres, assis sur le sable ou encore eux aussi dans des véhicules à l'arrêt, la majorité dormait afin d'être d'aplomb pour l'aube. Une autre partie, plus réduite, jouait au poker, vérifiait les armes, ou fixait juste l'horizon en se murant dans le silence. Exactement comme Oliver en cet instant.

Au total, quatre-vingt-cinq rebelles se tenaient prêts à l'attaque. Quatre-vingt-cinq. Quinn avait été enterré à proximité de leur campement, comme de nombreuses autres personnes avant lui. Éloïse s'était juré de le venger et, au lieu de se laisser abattre par la peine, carburait à la rage. Une bombe à retardement. Voilà ce qu'elle était. Mais Anissia avait insisté pour la laisser venir : elles étaient animées par les mêmes sentiments. Ainsi la jeune afro-américaine était-elle des leurs cette nuit, quelque part dans le noir, le bob gris de son être aimé solidement vissé sur le crâne.

Les vingt-sept soldats restants étaient des natifs de l'île. Ils avaient appris la langue de leur envahisseur, si bien qu'Oliver avait pu leur faire part de leur plan avant d'embarquer vers la plage. Des jeunes. Des vieux. Des enfants, parfois. Qu'importe. Ils étaient tous pourvus de la même fureur et de la même détermination. Il suffisait de les regarder dans les yeux pour comprendre qu'eux aussi étaient prêts à tout pour porter un grand coup à Dante Alvarez et, indirectement, à Lungelo Krüger.

Cent-douze. Cent-douze rebelles contre environ deux-cents pirates. Ils le savaient, ce serait possiblement un aller sans retour. Mais ils avaient envie d'y croire. L'effet de surprise serait leur seule et unique chance de prendre l'avantage. Ils ne comptaient pas la laisser filer. Ils ne le pouvaient pas.

‒ Tu crois en Dieu, Oliver ?

L'interpellé tourna un regard surpris en direction d'Anissia, la seconde et dernière occupante de leur jeep. Il pensait qu'elle dormait. Mais non. Elle était bien éveillée et fixait l'île nord de ses prunelles si froides.

‒ Non, admit-il en se reconcentrant sur l'horizon. Et toi ?

‒ Non plus. Mais j'aimerais.

‒ Pourquoi ?

‒ Les natifs sont tous en train de prier. Ils prient les Dieux de Lost Island. Ces mêmes Dieux qui les ont laissés tomber depuis dix-huit années. C'est ça qui les motive à foncer dans la gueule du loup : la foi.

‒ Et toi alors, qu'est-ce qui te motive ?

‒ La même chose que toi, Oli' : la vengeance.

Elle tourna cette fois son regard dans sa direction. Le faible rayon de lune éclairait son visage à moitié brûlé. Le docteur Aouissi lui avait conseillé de reporter l'attaque d'au moins une journée, mais Anissia avait refusé. « Je me sens prête », avait-elle répliqué. Personne n'avait tenté de la raisonner. Pas même Oliver, qui savait cela inutile.

Aller Simple en Enfer [T.1]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant