Chapitre 3 - Esclaves

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Nishka prit les mains d'Ishta dans les siennes, la regarda dans les yeux et prit trois longues respirations. La jeune fille calqua son souffle sur celui de la vieille femme et aussitôt, elle reprit contrôle de ses émotions. Elle savait désormais que si elles ne sortaient pas vite du véhicule, la Mère des Futures Femmes ne serait pas la seule à se faire corriger. Elle descendit les trois marches menant au sol et le capitaine de la garde l'accompagnant fronça les sourcils.

« Pourquoi avez-vous mis autant de temps ? »

C'était une question directe, elle se devait d'y répondre. Elle rassembla le courage qui lui restait et répondit les yeux fixés au sol, d'une voix douce et posée.

« Je vous pris de bien vouloir nous excuser. Les plis de ma robe se sont pris dans un rebord en bois. »

L'explication parut satisfaire le garde qui les accompagna jusqu'au salon d'attente devant le bureau du Roi des rois.

Lors de sa dernière visite, la pièce était vide mais aujourd'hui Ishta eu du mal à trouver où se placer pour ne pas déranger les allées et venus des hommes rassemblés. Principalement des militaires au visage hagard, quelques nobles en tenues officielles pompeuses et des serviteurs les bras chargés de cartes, papiers et autres instruments de travail. Tous des hommes. Ishta baissa vite les yeux avant de se faire prendre et tenta de calmer ses nerfs. Sa robe orange, simple et légère, laissait voir sa taille. Ses jupes longues étaient faites d'un tissu fin qui virevoltait à chaque mouvement d'air et son dos était quasiment nu afin d'exposer son blason partiel. Elle avait l'habitude de porter ces vêtements au quotidien mais ici, elle se sentit vulnérable, exposée... La jeune fille regrettait de ne pas pouvoir porter les lourdes armures de bataille qu'elle avait vue en peinture. Malgré la chaleur de la journée, un frisson la parcourut de la tête aux pieds.

La Mère des Futures Femmes la conduisit dans un angle de la pièce où deux fauteuils avaient été laissés vacants. Ishta fut plus que surprise par le choix de la vieille femme, ce n'était pas la première fois qu'elles devaient patienter mais jamais Nishka ne s'était permis de s'asseoir. Cependant, un rapide coup d'œil discret à la salle et elle comprit que l'attente serait longue. Elle s'assit aussi confortablement que possible, les mains sur les genoux et les chevilles croisées à l'opposé, comme l'indiquaient les poèmes de « Bienséance de la Femme Enfant ». Et les heures commencèrent à défiler lentement...

La tension dans le salon d'attente était palpable, tous parlaient nerveusement et des éclats de voix soudains s'élevaient régulièrement. Des bureaux de fortune étaient aménagés dans tous les coins de la pièce, les hommes passants de l'un à l'autre d'un pas pressé, regardant une carte ici pour la comparer à celle de là-bas, additionnant les unités d'une liste de recensement à l'autre.

La plupart des chaises avaient été empilées dans un angle pour ne pas déranger les déplacements frénétiques des occupants. Seuls les deux canapés centraux avaient été laissés à leur place, un petit groupe de militaire vétérans, couvert de médailles, y discutait d'un ton agité, cigares à la bouche dont la fumée accentuait le sentiment oppressant généralisé.

Le chaos ambiant donna le tournis à Ishta mais personne ne fit mine de remarquer leur présence, tous les esprits étaient tournés vers la guerre et Ishta prit conscience pour la première fois de l'ampleur du problème. C'était un des rares avantages d'être une femme, tant qu'elles ne dérangeaient personne, elles étaient complètement invisibles. En l'occurrence tous discutaient de stratégies, de mouvements de troupes ou des dernières nouvelles sans se préoccuper de ce qu'elles entendaient. Si le langage rustre et cru la dérangea, le contenu des propos tenus était encore plus choquant.

Elle avait entendu les civils parler d'escarmouches, mais rien n'était plus loin de la vérité. Les militaires présents parlaient de front, de batailles et de lourdes pertes. C'était bel et bien une guerre et, à les entendre, l'Empire d'Or était mal engagé. Ishta comprit vite pourquoi tout le monde parlait d'escarmouches, le nombre d'ennemis engagés dans les batailles semblait ridiculement bas. Là où les unités Impériales étaient comptées en bataillons, les armées ennemies dépassaient rarement les trois ou quatre cents unités. Bien que ce soit ce que les rapports indiquaient, il paraissait impossible qu'une centaine d'hommes, ou à peine plus, puisse défaire trois bataillons complets de l'Empire d'Or, aussi les rumeurs se sont déformées en faveur de l'armée impériale.

La bête de la Terre des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant