Chapitre 35 - Âme en peine

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Les berserkir étaient de nouveau assis sur les rochers bordant le bassin. Les fleurs odorantes flottaient toujours autour d'eux, la vapeur de l'eau s'élevait de nouveau dans les airs et la douce lumière de la lune nimbait encore la scène d'une aura mystérieuse. Mais les similitudes s'arrêtaient là. Ishta n'eut pas besoin de longtemps pour comprendre qu'ils n'avaient pas quitté le royaume des morts. Les encerclant, éparpillés dans la clairière qui paraissait immense, comme agrandie pour l'occasion, les figures de brumes étaient là, silencieuses et immobiles. La forêt, auparavant à quelques pas, semblait maintenant à des heures de marche. La falaise dont elle aurait dû apercevoir le haut, formait un mur qui bravait le ciel et s'étalait d'un horizon à l'autre. Partout où portait le regard, les lueurs de l'aube pointaient au loin sans jamais vraiment se montrer.

Devant elle, dans l'eau jusqu'à la taille, Askel l'observait avec inquiétude.

« Tout va bien Sjel ? demanda-t-il doucement.

- Je ne sais pas vraiment, répondit-elle, confuse. Il y a quelques instants, rien ne semblait exister d'autre pour moi que le vide... Et je m'en contentais.

- C'est le danger des terres d'Hella, Sjel, répondit Sigvald à voix basse depuis son rocher. On s'y sent bien. Les morts ont droit à la paix et la satisfaction, baignés par la magie des Sintånd... Mais on doit se dépêcher maintenant, je sens un Trøtt pas loin.

- Si on avait eu un vrai chaman il aurait su faire mieux que d'éclater de rire sous le nez d'Hella, chuchota Knut pince-sans-rire. Mais... Attendez... On a un vrai chaman ! »

Il se tut sous le regard noir lancé par Finn. L'heure n'était visiblement pas à la rigolade. Si les berserkir semblaient heureux, ils n'en étaient pas moins prudents. Chacun parlait doucement, sans mouvement brusque. Des proies discrètes se faufilant sous le nez du chasseur.

Ulrik caressa la joue d'Ishta d'une main, ignorant la remarque mordante de Knut.

« Toute personne ayant réveillé un lien avec les Sintånd vient ici à un moment ou l'autre de sa vie, lui murmura Ulrik. Nous avons eu envie de t'y accompagner, que tu ne sois pas seule. Les Íbúa grandissent avec les histoires du royaume des morts, en partie pour préparer ceux qui auraient besoin d'y faire le voyage. Tu n'as pas eu cette chance... »

Elle n'eut pas le temps de répondre, une musique douce accompagnait d'un chant étrange se fit entendre, mais qu'importe où ses yeux se posaient, elle ne semblait venir de nulle part.

« Qui chante ? chuchota-t-elle.

- Personne, répondit Sigvald. C'est le chant des âmes, Sjel. Sur la terre des hommes, il prend la forme des battements de ton cœur en diapason avec la pluie, de la flamme des torches qui pulse en rythme avec le mouvement des vagues ou ta respiration en harmonie avec le souffle du vent. Mais au pays d'Hella, les esprits ont une voix... »

Le chant se fit plus fort à ses oreilles, s'imposant à son esprit.

« Sjel, reprit Ulrik. Sur ces terres les vivants troublent le repos des morts. Hella n'aime pas que nous nous y attardions, alors nous nous faisons discrets. On parle doucement, on reste calme. Mais les Sintånd veulent te connaître et ils ne laisseront pas les morts retourner à leur repos tant que tu ne te seras pas présentée...

- Et comment je m'y prends ? Demanda-t-elle timidement.

- Ça... répondit Asvard. Personne d'autre que toi ne le sait... »

Voilà qui l'avançait bien. Il n'y avait pas un souffle de vent et la musique se faisait de plus en plus forte. Ce qui avait d'abord été un murmure incertain, se faisait maintenant entendre pleinement et les vocalises imprégnaient tout son être. Ce qu'elle avait pris pour un unique chant était en fait un cœur d'une multitude de voix, chacune avec sa propre mélodie se mêlant à celle des autres dans une harmonie presque irréelle. Les silhouettes qui les entouraient ne bougeaient pas, attendant qu'elle se décide. Elle pouvait ressentir leur impatience lui transpercer les os, amenant des fourmillements dans chaque muscle de son corps, y rependant un besoin d'action douloureux qu'elle ne savait comment soulager.

La bête de la Terre des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant