Chapitre 1 - Première Leçon

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Ishta reteint de justesse un bâillement. Réveillée aux aurores par sa bonne, elle avait ensuite traversé huit heures de préparation pour être présentable. Douze couches de vêtements, trente-deux kilos de tissus et de bijoux, un nombre incalculable de pots de crème et maquillage plus tard, elle attendait debout derrière la porte de la salle du trône afin d'être présentée à son futur époux. La pendule avait déjà sonné deux fois, et, incapable de s'asseoir par peur de ne jamais pouvoir se relever, la seule chose qui gardait la jeune fille encore éveillée était l'excitation.

Le fils aîné d'une des plus grandes familles du conglomérat des îles Australes, Sichuna Ning en personne, était venu lui demander sa main. Elle l'avait croisé enfant et déjà sa grâce et sa prestance l'avaient laissée sans voix. Si bien qu'elle n'avait pu que balbutier quelques maladresses alors que le garçon parlait avec tant d'éloquence à huit ans déjà. Une bêtise lui avait valu une des pires punitions de son enfance, les marques sur son corps avaient mis plusieurs mois avant de disparaître complètement. C'est à se demander comment elle avait pu faire si bonne impression pour Ning se présente devant l'Empereur pour elle.

La jeune fille n'arrivait toujours pas à croire que son tour arrivait si vite. En cinquième position parmi les pétales du Sha, Ishta avait encore deux sœurs avant elle non-mariées, dont une descendante de la Rose en personne. Si le fils de Sichuna n'avait pas demandé spécialement sa main à elle, sa cérémonie n'aurait pas eu lieu avant encore, au moins, trois ans. Pour une fille de noble du Saam'Raji, le mariage était la consécration. La marque de sa bonne éducation et de sa valeur. Ses deux sœurs aînées déjà mariées avaient grandement gagné en statut. Elle les voyait se déplacer dans les couloirs du palais, les yeux non voilés, la démarche digne. Inapprochables.

L'horloge sonna une troisième fois quand les portes de la salle du trône s'ouvrirent enfin et la voix du Chambellan s'éleva.

« Sha Ishta, Cinquième pétale du Saam'Raji, Descendance d'une Ortie, votre fille Bien-Aimée. »

Dans un grand silence où seul résonnait le bruit de ses pas, elle entama sa traversée de la salle du trône. Son esprit concentré sur le décompte protocolaire des pas, elle devait en faire cent soixante-seize exactement. Pas un de plus, pas un de moins. Son voile de bienséance lui couvrant la moitié supérieure du visage afin de protéger sa pudeur, elle saurait, grâce à ce repère, quand s'arrêter et se prosterner, tout en restant à une distance protocolaire du piédestal où siégeait son père.

Les yeux rivés sur le tapis vert canard que frôlait sa multitude de jupes longues, elle luttait contre sa curiosité pour ne pas lever la tête et faire sonner les clochettes lestant son voile de bienséance, preuve alors qu'elle aurait commis un impaire. Elle sentait le poids de tous les regards de la cour s'ajouter à celui de sa robe. Ce n'était pas le moment de trébucher et se couvrir de honte. Chaque pas était un supplice, elle se devait de garder un rythme lent et digne alors qu'elle aurait voulu courir d'une traite les cent mètres la séparant de son futur époux.

Enfin, elle aperçut le bas des robes du fils marchand, blanc et noir brodé de dragon d'argent, elle avança encore de cinq pas, se mit à genoux face au trône, le visage contre terre, les mains jointes au-dessus de sa tête, redoutant déjà l'instant où il faudrait se lever.

« Gloire au Roi des rois, grand sage devant les éternels, sauveur du peuple et mon père bien aimé. »

Proclama-t-elle d'une voix claire et forte afin que tout le monde puisse l'entendre malgré sa position délicate.

Le Roi fit un geste de la main et deux servantes vinrent l'aider à se relever. Elle y mit autant de grâce et de dignité que possible puis se tint bien droite, les yeux fixés sur le bout de ses propres chaussures. Elle ne savait ce qui la rendait plus fébrile, le poids de la robe ou le fait de ne pouvoir admirer son futur époux. Aussi elle revisita le souvenir qu'elle avait de lui. Élancé, le visage fin taillé en pointe et de doux yeux vert émeraude s'étirant sur les coins, traits communs à tous les habitants des Îles Australes.

La bête de la Terre des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant