Chapitre 19 - Justice

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Les jours suivants filèrent à toute allure, une certaine frénésie s'étant emparée de tout le village. Même Ishta n'avait besoin de personne pour comprendre que le Storkan arrivait.

Le vent soufflait tellement fort que certains enfants s'étaient retrouvés poussés sur plusieurs mètres alors qu'ils marchaient en rue. Le froid devenait de plus en plus intense et la neige ne cessait de tomber, bouchant complètement certains passages. Même Pahala ne se montrait plus au-dessus des montagnes, la nuit dominait, ne laissant aux Íbúa que quelques heures de pénombre plus claire en milieu de journée. Ishta n'avait jamais vu un tel phénomène. La nuit mélangée à la neige en continu créait une atmosphère oppressante qu'elle avait du mal à supporter.

Les préparations en vue du Storkan nécessitèrent toutes les mains disponibles, elle passait ses journées avec Toumet et ses filles, allant d'une tâche à l'autre sans jamais se reposer, ou presque.

Sa relation avec Toumet avait d'abord été tendue. Mais Ishta comprenait ce qui l'avait poussée à agir comme elle l'avait fait. Pour les Íbúa, le mariage était sacré. Rien n'est plus important que la famille que l'on se crée. Certes, Toumet avait de l'affection pour Ishta mais elle était, avant tout autre chose, la femme de Leif et, parce qu'elle le respectait, elle ne voulait pas aller ouvertement contre sa décision. Même si la situation avait blessé Ishta, elle ne pouvait la blâmer. C'est une relation qu'elle-même enviait.

Alors quand Toumet vint pour lui présenter ses excuses, Ishta les repoussa d'un geste de la main et serra la femme dans ses bras. La complicité qu'elles partageaient lui était plus chère que sa colère, pour un acte qu'elle comprenait. Si elle avait la chance de partager autant d'amour et de respect avec quelqu'un, elle aurait certainement pris la même décision.

Et, invariablement, penser à la relation de Leif et Toumet ramenait ses pensées vers Ulrik.

Elle se revoyait debout devant le chaman dans la petite chambre, le sang battant à ses oreilles, la tête vide. Elle sentait le désarroi d'Ulrik et voulait y mettre fin. Le sentiment pressant qu'elle se devait de dire quelque chose, n'importe quoi, remontant le long de sa gorge. Mais ne sachant tout simplement pas quoi dire.

Elle n'avait jamais pensé à Ulrik de cette façon-là. Non pas qu'elle ne puisse pas le faire, juste que l'idée n'était tout simplement pas une option possible à ses yeux. Elle était déjà promise à quelqu'un, que ce soit Leif ou Fryktebjorn. Penser à un autre homme ne pouvait que lui attirer des ennuis et la rendre malheureuse. Et jamais, au grand jamais, elle n'aurait imaginé qu'Ulrik puisse s'intéresser à elle. Il était tellement sûr de lui, tellement impressionnant, tellement... Homme. Elle n'était qu'une enfant perdue qui ne faisait pas grand-chose d'autre que de pleurer. Elle n'était ni gracieuse comme Toumet, ni grande et élégante comme Holga, elle n'avait pas la sagesse ou l'humour piquant de la plupart des femmes Íbúa. Elle n'avait rien à offrir, rien d'intéressant.

Ulrik lui lâcha la main et s'apprêta à se redresser, l'air résigné et blessé. À le voir ainsi, son corps réagit avant qu'elle ne puisse y réfléchir et elle lui caressa doucement la joue, lui relevant la tête afin que leur regard se croise. La barbe du chaman était rêche contre sa paume mais la peau de sa joue sous ses doigts était douce. Aujourd'hui encore elle rougissait en pensant à son geste. Comment avait-elle pu être aussi audacieuse ?

Mais elle repensa à Fryktebjorn. Il était peut-être à moitié bête, mais cela voulait dire qu'il était aussi à moitié Íbúa. Si le mariage lui était aussi sacré que pour le reste de son peuple, il n'apprécierait sûrement pas que sa femme entretienne des sentiments pour un autre. Si elle espérait un jour avoir une relation basée sur autre chose que la peur, elle devait s'y prendre correctement.

La bête de la Terre des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant