La bête de la Terre des Rois

Chapitre 46 - Souvenir

La salle était en effervescence et Dakshi en avait mal à la tête. Les conseillers et autres généraux s'agitaient autour du Roi des rois comme autant de mouches autour d'un bovin. Les messagers ne cessaient leurs vas et vient dans un brouhaha des plus désordonnés, chacun vociférant son opinion. Comme si crier le plus fort suffirait à faire taire les autres. Jamais Dakshi n'aurait autorisé une telle débâcle au sein de son propre conseil de guerre. Mais il ne pouvait contredire l'organisation de l'Empereur.

Non pas qu'il en ai grand chose à faire. L'air saturé par la fumée des cigares l'avait poussé vers un coin de la pièce. Accoudé à la fenêtre, il contemplait le lourd nuage noir qui s'élevait des rues de la capitale, emportant avec lui les cris des combats et des mourants, satisfait. Parfois, il n'y a pas de meilleure solution que de tout raser lorsque l'on souhaite repartir sur des bases seines. Et quoi de mieux que le feu pour assainir le mal-être putride de cet Empire décrépi ?

Au moins le "Grand" Roi des rois se serait-il occupé lui-même de ravager la capitale. Il ne resterait plus à Dakshi que de remettre les choses en ordre après avoir destituer l'Empereur. Il deviendrait le héros du peuple, et il lui serait bien plus facile alors de changer ce qui avait besoin de l'être.

L'abolition du Vasheekaran et de la gloire du blason ne serait pas une mince affaire, et elle passerait par l'élévation du statut de la femme. La route promettait d'être longue, mais avec l'aide des Dieux, rien ne serait impossible...

« C'est triste à dire, mais la vue est magnifique... »

Dakshi n'avait pas vu le Chambellan approcher. Tout juste revenu des combats dans les rues, il n'avait même pas pris le temps de retirer le sang qui maculait ses mains et son visage.

« Qu'est ce qui la rend si belle d'après vous ? demanda le prince d'un ton froid, en tournant une nouvelle fois son regard vers la ville. Le feu qui peint le ciel de mille couleurs ? Ou le cri de nos citoyens lâchement assassinés par les mêmes soldats sensés les protéger ?

- Nous ne pouvons décemment pas laisser ces sauvages ravager la capitale et perturber l'ordre respecté par les citoyens loyaux. Qui, eux, ne souhaitent rien d'autre que vivre en paix sous les lois de l'Empire.

- Ainsi donc le citoyen ne mérite ce titre que tant qu'il suit sagement l'ordre établi, et ne parle pas trop fort de son mal-être... dit Dakshi d'une voix lasse.

- N'est-ce pas là l'ordre des choses ? répondit Lakshan, impérieux. Le peuple n'est pas élevé pour diriger, et nous ne sommes pas élevés pour travailler la terre. Qu'ils respectent leur rôle, et nous respecterons le notre.

- Et pourtant, notre pouvoir s'arrête au bon vouloir de ces mêmes sauvages qui frappent à nos portes.

- Ils ne les ont pas encore atteintes... reprit Lakshan pensivement. Et il ne les atteindront pas ! La situation n'aurait pas tant dégénéré si nous avions eu plus d'hommes. »

Dakshi ignora ce reproche à peine voilé. Il ne souhaitait pas aller dans cette direction. S'il n'avait pu fournir plus d'hommes à Lakshan, c'est parce que toutes les unités dont il pouvait se passer pour la guerre étaient en train de déterrer un temple au milieu du désert. Il l'avait enfin trouvé, et il était hors de question de retarder son plan pour venir sauver le cul impérial de son père. D'autant plus que cette débâcle tournerait à son avantage le moment venu.

Mais Lakshan ne le quittait pas des yeux, le surveillant comme une matrone surveille le lait sur le feu. Ce bâtard avait toujours eu le nez pour repérer les ennemis de l'Empereur et, aujourd'hui, Dakshi était le plus dangereux d'entre eux. Il voyait la méfiance des les yeux de Lakshan qui profitait de la moindre chance qu'il avait pour fouiner dans les affaires de prince. Le Chambellan n'attendait qu'un seul faux pas de sa part pour le faire tomber en disgrâce. Dakshi ne lui donnerait pas satisfaction, aussi ignora-t-il sa remarque.