L'après-midi continua comme il avait commencé. Ishta désignait avec entrain telle fleur ou tel objet ou encore tel animal et Ulrik lui en donnait la traduction. Parfois il essayait de lui expliquer des concepts plus complexes mais ne connaissant que peu de mots dans la langue de l'Empire, l'exercice se terminait bien souvent en fou rire. Jamais encore elle n'avait ri ouvertement devant un homme. Encore moins avec un homme. De par leur position sur le cheval, elle ne le voyait pas et, bien vite, elle en oublia même à qui elle parlait.
Ulrik paraissait apprécier le jeu et s'amusait parfois à l'interroger sans prévenir sur des mots déjà vus, riant gentiment si elle venait à se tromper. Mais ça arrivait rarement et son vocabulaire sur la faune et flore de montagne grandissait de manière incroyable. Elle avait également appris à compter et à nommer les jours de la semaine grâce à l'aide momentané d'Einar, lorsque celui-ci remontait la colonne jusqu'en position de tête. Sa bonne humeur se propagea bientôt au reste du groupe et d'autres guerriers se mirent à proposer tel ou tel mot. Elle finit par devoir deviner à quel objet pouvait bien correspondre le mot crié par un guerrier de la colonne.
Ce n'est que quand Ulrik désigna Pahala, solle en Íbúan, que l'évidence lui sauta enfin au visage. Elle commença à scruter le ciel mais aucune trace de l'astre manquant. Doosara n'était nulle part. Quelques rires s'élevèrent autour d'elle quand ils comprirent ce qui la dérangeait.
« Cì a oun suolla solle, dit-il. Doosara nüo. Derrière dol montagnes. »
Comme ça Doosara ne sortait pas de derrière les montagnes. Étrange. Prise par la curiosité, elle comptait bien questionner Einar dès que possible lors du repas du soir.
La falaise avait laissé place au flan de la montagne, le chemin étroit s'était transformé en un sentier plus large. Et, bien que la pente soit raide, la route était quand même bien plus praticable pour les chevaux. Elle leur offrait également bien plus d'endroits confortables où s'arrêter. Il leur fallut un moment pour installer le campement. Un petit arbre fut abattu afin de servir d'alimentation et de base pour le feu car la couche de neige était bien trop épaisse, celle-ci fut tassée sur un large cercle autour et ils firent des petits tas de branche d'épicéas pour les isoler du froid au moment de dormir.
Prise dans l'euphorie de sa folle journée, Ishta se mit à tasser la neige avec tout le monde. Mais ces petites chaussures du palais n'accrochaient pas comme il le fallait et elle s'enfonçait bien trop facilement. Sans parler de la cape gigantesque qu'elle ne parvenait pas à maintenir en place. Elle se sentait comme une enfant déguisée avec les vêtements de sa maman. Sa frustration se transformait doucement en colère simple, alimentée par les rires des hommes autour d'elle. Ne voyaient-ils pas qu'elle y mettait du cœur ?
Un des guerriers fini par l'attraper à bout de bras, la poser sur le tronc d'arbre.
« Siedù ! »
Elle ne connaissait pas le mot mais le geste de la main et le ton autoritaire suffirent à lui faire comprendre qu'on lui demandait de rester assise. Elle se sentait mise à l'écart comme une enfant capricieuse. L'humiliation lui fit chauffer les joues une nouvelle fois. Emportée par le sentiment de liberté ressenti dans l'après-midi, elle s'était laissée aller et avait dépassé les limites du raisonnable. Comment avait-elle pu être aussi écervelée ?
La honte laissa doucement place à la panique. Lui retireront-ils les privilèges octroyés durant la journée ? Lui sera-t-il permis de poser des questions comme avant ? De parler comme avant ? De rire ? Elle avait été trop avide. Ils s'étaient bien amusés de ses balbutiements et de ses erreurs mais désormais ils avaient vu jusqu'où allait son inconvenance et ils s'étaient lassés. Elle maudit les quelques larmes qui coulèrent le long de ses joues et les essuya d'un geste rageur. Elle ne s'aperçut de la proximité d'Einar que lorsqu'il prit la parole.
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La bête de la Terre des Rois
RomansaÉlevée dans une culture où les femmes n'ont d'autres rôles que celui de décoration ou d'esclave, Ishta est battue par son père dans le cadre d'un rituel matrimonial particulièrement cruel. Les barbares du nord ont envahi l'Empire et, pour sauver ce...