Chapitre 33 - Tendres Baisers

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Elle se tenait enfin devant Toumet. La lumière du jour déclinait alors que Pahala disparaissait doucement derrière les montagnes. L'air salé emprunt des odeurs humides du soir se faisait frais et il amena un léger frisson le long de son dos. Si la petite foule rassemblée sur la plage discutait gaiement quelques instants plutôt, elle s'était tue alors qu'une brume compacte s'élevait du sol et avalait les pieds de tous. Un silence pesant et inhabituel s'était emparé de la scène, même le ressac des vagues sur le rivage se faisait discret.

Alors, Toumet leva au dessus de sa tête les deux bâtons creux qu'ils avaient utilisés lors de la dernière cérémonie et, d'un mouvement lent et théâtrale, les battit l'un contre l'autre d'un coup sec et puissant qui résonna dans tout le fjord. Puis une seconde fois. Et une troisième fois. Au quatrième battement, tous les Íbúa l'avaient rejoint. Le fracas du bois contre le bois se répercuta jusque dans les os d'Ishta. Elle ne pouvait voir les gens de l'Empire mais elle entendit leurs murmures inquiets s'élever timidement derrière elle. Les Íbúa avaient un sens de la dramatique hors du commun et elle adorait ça.

Ils continuèrent à battre au rythme lent et régulier imposé par Toumet. Le brouillard se mit à pulser en cadence bientôt suivit par les flammes des torches. La nervosité dans son dos était palpable, la tension de l'air faisait battre son cœur plus vite et elle la reconnu pour ce qu'elle était, son lien avec les Sintånd se manifestait. Si elle ne comprenait pas bien ce qui se passait, son corps réagissait de lui-même à la magie s'éveillant autour d'elle.

Le battement régulier s'accéléra, répondant presque aux pulsations du cœur d'Ishta. Le brouillard en mouvement ne s'élevait pas du sol mais s'agitait sans discontinuer et il recouvrait désormais les eaux de la baie, alors que le bruit des vagues parvenait à leurs oreilles, léchant le rivage en cadence. Aussi soudainement qu'elle avait commencé, Toumet suspendit son geste et un silence assourdissant s'abattit sur le fjord.

Un fourmillement, devenue presque familier, envahit ses jambes alors que la magie qui l'habitait grondait de frustration de n'avoir pas été utilisée. Un nuage dense d'oiseaux prit son envol au dessus du bois un peu plus loin et les fit sursauter. Sans un cri, sans autre bruit que celui de leurs ailes battant furieusement. Un rire nerveux parcouru l'assemblée, surprise par l'envole soudain des animaux, coupé court par un rugissement caverneux s'élevant dans les airs. Puissant, résonnant entre les montagnes, dévalant la pleine et roulant le long du rivage pour étreindre leur cœur et attisé leur peur. Les Íbúa avaient lancé un appel à leur protecteur et Fryktebjorn répondait présent.

Le silence revint, tous scrutaient les ombres entre les troncs d'arbre, dans l'expectative. Au travers de son voile, Ishta ne voyait pas grand chose d'autre qu'une grosse tache informe au loin et sa vision ne s'améliorait pas avec la lumière de Pahala qui déclinait. Un vrombissement sourd et continu se fit entendre, la cime des arbres ploya soudain alors qu'une vague de vent traversait le bois pour s'attaquer ensuite au rivage. Toute la nature s'anima au passage de la bourrasque, les herbes et la végétation courte se trouvèrent plaquées au sol, les arbres plièrent dramatiquement et une partie du feuillage fut arrachée à leur branche par la force du vent, emmenant un nuage de poussières et végétation droit sur la foule. Tous se protégèrent de leurs bras, le bruit assourdissant du vent envahissait leurs oreilles. Ishta sentit le voile se plaquer contre son visage à l'en étouffer, sa jupe fouetta furieusement ses jambes et elle était persuadée de la sentir se déchirer. Mais, aussi vite qu'elle était arrivée, la bourrasque s'évanouie.

Ils eurent juste le temps de reprendre leurs esprits avant que le bois ne vomisse un brouillard compact qui dévala la pente légère jusqu'à la grève. Si Ishta ne voyait pas grand chose, elle lui fut impossible de manquer les centaines de points lumineux s'allumant les uns après les autres dans les sous-bois. Jamais seul, toujours par deux. Autant de paires d'yeux luisants, bleutés, braqués sur eux. Les Sintånd étaient de la fête et le faisaient savoir.

La bête de la Terre des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant