Chapitre 26 - Déclaration de Guerre

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« Tous ici ont plus ou moins entendu l'histoire des marques que je porte dans le dos. »

Ishta parlait d'une voix forte et posée, ces propos toujours traduits par Einar.

« Mais pour être sûr que l'on se comprenne bien, laisse moi préciser. Ce ne sont pas de simples coups de fouet donnés par un homme en colère ou pour me punir d'un quelconque crime que j'aurais pu commettre. Elles ont été faites par mon père. Elles représentent une image, ou tout du moins l'aurait fait s'il avait terminé. Cette image serait devenue mon blason et la marque de ma bonne éducation. Autrement dit, ma capacité à être une bonne épouse.

Oui, vous avez bien entendu. Lorsque les femmes de l'Empire sont promises en mariage, leur père, ou tout homme d'autorité compétent, mutile la future mariée dans un rituel censé la purger de toute sauvagerie ou impureté, pour la rendre docile et civilisée. Le rituel dure plusieurs mois, pour être sûr que la future mariée récupère assez entre deux séances de fouet et qu'elle survive.

Et on pourrait croire que les femmes abhorrent ce blason de tout leur être, mais non. C'est ce qui les différencie de l'esclave. C'est le symbole de leur statut. Les petites filles regardent avec envie leurs sœurs marquées parce qu'elles savent que l'absence de blason est un passe droit pour tout homme de la posséder, de la battre ou de la tuer. Non pas qu'avoir un blason fasse grande différence, car le mari a tous les droits sur sa femme et ne se prive pas de les exercer. Mais l'idée de savoir d'où vient le danger paraît rassurante.

Vois-tu, Leif, Bouclier des Íbúa, les femmes de l'Empire sont tellement bien conditionnées qu'elles arborent avec fierté les marques de leur oppression. J'ai été tellement bien conditionnée que je pensais être rejetée ici, le jour où tous apprendraient que mon blason n'était pas terminé. »

Elle fit une pause, laissant à chacun le temps de s'imprégner de ses paroles. Il n'y avait pas d'autres bruits dans la salle que le reniflement de Vabachea, le nez au sol, tournant autour d'Ishta après quelques restes de nourriture égarée. Le visage d'Ulrik était comprimé par la rage alors que celui de Toumet n'exprimait que du regret.

Ishta reprit.

« Et c'est bien là le cœur du problème, Leif, Bouclier des Íbúa. Tu souhaites insulter mon père mais tu t'y prends mal. Tu penses humilier l'Empereur en me mariant à une bête sanguinaire mais pour cela il faudrait que le Roi des rois s'intéresse à moi. Or, il m'a envoyée dans une cours étrangère avec un blason non fini, sachant pertinemment ce qu'il adviendrait de moi dans ces conditions.

Certes, le blason ne signifie rien pour vous, et j'en suis la plus heureuse, mais dans d'autres contrées, j'aurais été mise à l'écart. Éloignée de la cours, honte de mon mari qui ne se serait pas retenu de passer sa rancœur à coup de bâton. Et mon père ne pouvait savoir que ça ne se passerait pas de cette façon en m'envoyant ici. »

Leif paraissait contrarié quand il prit la parole.

« As-tu fait tout ce discours pour me dire que mon plan n'était pas bon ? »

Ishta sourit, cet homme paraissait fier et sûr de lui mais ce n'était qu'une façade. Au fond, il doutait et il avait peur qu'elle soit là pour l'exposer. Mais elle espérait bien qu'il cesserait de la voir comme une ennemie à la fin de cette journée.

« Non, Leif, Bouclier des Íbúa. Ton plan est bon, il est juste trop sage. Laisse-moi accueillir la délégation. Annonçons que je suis la seule interprète disponible, laisse-moi être leur seul référent possible, qu'ils soient obligés de me parler et, surtout, de m'écouter, moi, une femme. Laisse-moi organiser la cérémonie de mariage, qu'elle soit la plus insultante et dégradante possible d'après leurs standards. Et, enfin, laisse moi leur présenter le bébé Glemslött comme étant le mien. Le Roi des rois se prétend descendant des Divins, pour sa descendance, engendrer un monstre est un affront aux Dieux mêmes et une preuve de son incompétence en tant que dirigeant du Saint Empire. Qui de mieux que moi pourrait insulter mon propre père ? »

La bête de la Terre des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant