Chapitre 6

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Lorsque le chevalier rouge atterrit au sol dans un fracas de métal, Lancelot sourit derrière son heaume. Pas un sourire d'amusement, non, un sourire de fierté. Pur, rempli d'orgueil. Et alors quand la foule se levait pour l'acclamer, il se sentait renaître sous ses vivats.

Depuis son départ du Lac, il s'était toujours surprit à quérir l'attention d'autrui. Il s'était trouvé à désirer toujours plus que les louanges de sa mère, plus que la gloire des combats.

Avant son arrivée, sur son chemin, dames et jeunes filles qu'il avait secourues aux griffes de brigands, s'étaient pressées à lui, faisant éloge de sa beauté, de ses capacités, clamant leur reconnaissance éternelle. Et même si durant son périple il avait longuement contemplé l'idée de retourner dans les bras de sa mère, se terrer dans l'obscurité lors des nuits froides, il savait cependant qu'il ne pouvait vivre sans l'éclat du soleil.

Il savait qu'il n'était que simple mortel mais là, salué et reconnu par les ovations d'une cité qu'il n'avait cessé d'imaginer, le jeune chevalier se sentait éclore à nouveau.

Il leva le menton et redressa l'échine, scannant la foule des yeux.

Certains visages étaient emplis de joie, d'autres de déception. Et c'est là qu'il se souvient, tout vainqueur impliquait perdant. A côté de lui, gisait encore son adversaire vaincu, redressé alors qu'on s'activait derrière les palissades pour venir le chercher. Aussitôt, Lancelot sauta de sa monture, et offrit une main.

Derrière le casque de l'homme, on ne distinguait pas ses yeux, mais seulement un éclair de peau révélé par une croix latine découpée dans l'acier de son heaume.

Il semblait que son rival fut surpris quand on lui présenta une main, avant qu'il ne la saisisse pour se relever. Lancelot faisait de son mieux pour se montrer amical, souriait derrière son heaume ; "Bien joué. C'était un beau combat."

–Je vous retourne le compliment. je n'ai jamais vu un guerrier tel que vous. Enfin, pas que je vous ai "vu"...

La voix de l'autre combattant était ferme et noble, riche comme celle d'un noble, Lancelot pensa. Puis il s'arrêta. Ne devrait-il pas se dévoiler pour parler à son rival ? Il fut aussitôt conforté dans cette idée alors que l'autre mentionna le drôle paradoxe.
Alors sans plus de cérémonie Lancelot retirait son casque, le menant sous son bras. Et d'un geste presque automatique; il vint discipliner ses boucles d'un geste de main pour libérer sa vue. Le chevalier rouge s'était arrêté de parler, Lancelot l'avisa enfin.

S'il avait une voix noble, alors son visage correspondait à merveille. A peine plus jeune que lui, l'homme possédait des traits durs bien que trahis par leur fond encore juvénile. Dans ses yeux on distinguait l'océan, un bleu profond dans lequel Lancelot pouvait presque apercevoir du vert d'eau. Ces yeux-là lui rappelaient douloureusement la teinte d'autres. Son nez était droit, la structure royale de son visage était sublimée par des pommettes hautes. Enfin il était auréolé d'or, des boucles d'un blond foncé encadraient son impériale figure pâle. Le menton levé, le regard profond et dur voilé de délicatesse, l'homme faisait concurrence au soleil lui-même, comme une douce allégorie d'Achille, héros de la Guerre de Troie, fils de Pélée et digne favori du Soleil.

Leur bulle de confort s'éclate bientôt au son dans houra et des appels de son nom.
Le cœur serré de laisser son "ami" ainsi, Lancelot adressa un sourire sincère pour toute salutation et remit mon casque avant de faire volte-face, remonter à cheval et avancer vers la foule.

Et là pendant de longues minutes, il relevait fièrement le menton, se délectait de sa victoire, des éloges et fleurs qu'on lui lançait.

Quand vint la remise des prix il trônait avec grâce sur le podium, tout sourire. La reine s'avançait vers lui, douce et gentille, et tout bas lui adressait quelques louanges, félicitait ses capacités.
C'est à ce moment précis que Lancelot le vis. Sur son siège au centre des gradins, lumineux et entouré d'hommes en arme, le roi. Son dernier adversaire, Achilles, un égal à son âme qui en serait jamais détrôné, le souverain, Haut Roi de Grande-Bretagne, Arthur Pendragon. Son cœur rata un battement, l'effroi glaça son sang. Et s'il était pendu pour disgrâce envers la couronne, pour n'avoir laissé le seigneur gagner ?

 
En le regardant il ne trouvait cependant aucun signe de colère ou de frustration sur son majestueux visage. Un sourire léger ornait ses lèvres, et Lancelot aimait penser que ces deux orbes d'azur brillaient aussi fort que le soleil. Il frissonnait quand il s'approchait de lui, le casque abandonné, la cape volant au vent de concert avec les boucles blondes.

Puis le roi les félicitait. La jalousie dictait à Lancelot qu'il était là seul destinataire des louanges, et il était trop fier pour ne pas l'écouter murmurer à son oreille.

–Je suis venu m'engager envers vous, plaider allégeance au royaume de Camelot et vous offrir de vous servir de toutes les manières possibles, mon roi.


Sur ces mots Lancelot tomba à genoux. L'échine courbée, la tête baissée en signe de soumission à son seigneur lige. Oh, il savait bien le spectacle qu'il devait donner. Des hoquets de surprise se faisaient entendre dans l'audience. Il était conscient de l'image qu'il représentait. Cependant rien de plus ne comptait que le seigneur qui se dressait devant lui, et il ne pouvait que l'admirer d'un œil audacieux.

Il était majestueux. Couronné ainsi, grand et dur devant lui quand il avait complimenté leurs exploits. Comme dans ses rêvasseries, comme dans les contes et les histoires qu'on lui avait contées sur son chemin, le roi de Camelot semblait appartenir au monde des songes.
Comme il était beau ainsi dévoilé. L'image même du souverain de contes de fée, tirée des cartes, figure de divinité et de sainteté. Ces monarques bons et nobles, remplis de courtoisie et de gentillesses, qui ne veulent que le bien d'autrui en dépit de leur propre vie, qui donneraient leur âme et corps pour voir un jour leur royaume prospérer. Sa voix s'élevait à nouveau, céleste et lointaine.

–Quel est votre nom ?

–Lancelot du Lac.

Et Lancelot sut, au sourire qui ornait ses lèvres et la lumière dans ses yeux, il sut qu'il avait enfin trouvé sa place dans le monde.

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant