Chapitre 2

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Lancelot restait muet. Le conduire jusqu'à Camelot ? Résidait-elle à la cour ? Il était un chevalier en devenir. Sa bravoure lui donnerait accès à ce rang, n'est-ce pas ? Il devait réaliser le chemin seul. Il avait déjà traversé les mers pour arriver ici, était passé si près de la mort, avait combattu mille et une fois, devait-il s'abandonner maintenant aux services d'une dame ? La politesse et la courtoisie apprise si durement par la Dame du Lac lui dictaient de qu'il ne pouvait pas refuser. Elle venait de le sauver d'une mort certaine, il lui était redevable au-delà de toute limite. Et refuser une offre comme celle-ci revenait faire un grand affront à son égard.

Mais, il ne connaissait pas la dame. Il avait été mainte fois mis en garde des enchanteresses qui couraient les chemins, dans le but de charmer des honnêtes hommes et les tourmenter jusqu'à ce que Folie ne les prenne.

Parfois, lui avait-on dit, les magiciennes se dévoilaient aux gentilshommes sous leur vraie forme ; et les contes dépeignaient alors viles femmes au dos courbé, au nez aquilin, aux doigts longs et crochus comme des pattes d'araignée. Mais encore des voix éraillées et des yeux fous, des pupilles aussi grandes qu'un grain de riz.

Mais bien plus fréquemment, elles se présentaient déguisées, lâchement transformées en jeunes et gracieuses demoiselles. Elles trompaient alors avec de longs cheveux brillant et volant au vent. Des attitudes distinguées et remplies de douceur, accompagnées de visages fins et pleins de vitalité, grands yeux bleus et lèvres rouges. Leurs voix seraient alors douces, dégoulinantes de luxure et de leurs lèvres couleraient des paroles visqueuses comme le pêché.

Puis, qu'importe les apparences, elles étreignaient leurs proies si tendrement, si ardemment et si lentement, que tel vampires avides de sang, elle les asséchaient jusqu'à la moelle. Elles les attiraient dans les limbes de la folie, ne laissant de ces hommes que des coquilles de ce qui étaient autrefois de grands esprits, de grands hommes destinés à des destins tout aussi grands. Délicieuses et tentatrices fées, qui se cachaient parmi les mortels pour en charmer les plus faibles, puis sacrifier leurs âmes, avant de les dépouiller sur l'autel de leur amour pieux.

Et la demoiselle penchée au-dessus de lui, les doigts doux dans ses cheveux et sur sa peau, tout cela ressemblait exactement aux avertissements de sa mère. Et si elle était sorcière, alors le voilà déjà sous son charme maléfique.

Et pourtant, Lancelot doutait. Devait-il accepter l'offre ? Raison et Courtoisie se battaient en duel dans son esprit. Devait-il même faire confiance à cette fée ? Et si elle le menait partout sauf à Camelot ? Si elle le tuait elle-même ? Le dénommé Gauvain à ses côtés lui lançait des regards dubitatifs et méfiants, et, bien qu'il eut l'air plus jeune que Lancelot, le jeune homme doutait vraiment de son sort à présent. Et si ils allaient tuer Lancelot eux-mêmes ? Peut-être étaient-ils seulement de vils menteurs. D'autres brigands, même.

Mais les battements trop irréguliers de son cœur le menaient à espérer. Peut-être étaient-ils d'honnêtes gens, elle une dame de devoir, et lui son fidèle chevalier servant ? De toute façon, il serait trop faible pour se battre si son refus l'entraîne dans un combat pour l'honneur de la demoiselle.

Avec contrainte ou plein gré, il ne savait pas, il accepta finalement l'offre. Et le sourire qui le récompensa effaça tous ses doutes en le faisant remercier n'importe quel dieu pour son choix.

*  *  *

Le trajet fut plus long que ce à quoi Lancelot s'était attendu. Il chevauchait aux côtés de la dame, installée sur la monture de Sire Gauvain, qui marchait à leurs côtés depuis le début de leur voyage. Il n'a pas bronché, ni fait opposition à la demande déguisée en ordre de léguer son cheval à un étranger. Il gardait cependant une main sur le pommeau de son épée, scrutant constamment les alentours.

Le petit groupe demeurait généralement silencieux, silence seul perturbé par les bruits forestiers ou des déclarations de Sire Gauvain au sujet de leur environnement.

Quand ils sortirent finalement du bois, Lancelot eut l'impression de respirer à nouveau. Le soleil brillait si fort, si grand, qu'il eut l'impression d'avoir passé les derniers jours dans le noir complet.

Mais à chaque fois qu'il osait parler, Lancelot sentait cependant sans cesse les regards sceptiques du chevalier sur sa nuque, percer un trou à l'arrière de son crâne. L'homme, malgré tout, restait muet comme une tombe quant à ses pensées, et répondait seulement aux demandes et affirmations de la demoiselle. Cette dernière, par ailleurs, semblait se taire quant au sujet de son prénom, laissant Lancelot dans le flou concernant son identité.

La plupart du temps, le jeune blessé demeurait muet. Confus et quelque peu déboussolé, il suivait la marche avec raideur.

Les soins proférés à sa cheville, au début, ne semblaient pas vraiment aider. Mais plus les jours passaient et plus il retrouvait motricité du membre meurtri, même si la douleur, elle, n'avait décidé de partir.

La possibilité de mouvoir sa cheville avec plus d'aisance assista considérablement avec la manœuvre de son destrier, et ainsi, ils purent chevaucher de plus longues distances en moins de temps.

Les provisions devaient sans doute être la partie la plus chérie du périple. Il ne se souvenait pas de la dernière fois qu'il put manger à sa faim sans avoir à limiter ses rations aux maigres richesses économisées ou aux quelques vivres que Dame Nature daignait lui offrir.

Quand les réserves de nourritures commençaient à s'affaiblir, Sire Gauvain était alors chargé de la chasse. Il ramenait souvent de petites proies, mais quelques fois, du beau gibier fut mis à cuir au-dessus des flammes. Lancelot, malgré sa volonté de subvenir à leurs besoins, n'avait pas le droit de quitter les côtés de la dame. Blessure oblige, disait-elle. Mais lorsque le chevalier était parti, Lancelot pouvait occasionnellement percevoir le regard de cette dernière sur lui, faisant bouillir son sang dans ses veines, chauffer ses joues. Il n'en fit rien. Jamais. Jamais il ne croisa volontairement son regard dans ces moments-là. Et si il arrivait qu'il le fasse malgré lui, tout deux baisseraient les yeux dans un silence gêné bien que confortable, mimant de s'affairer.

Parfois, après un copieux repas où Lancelot fut presque forcé à manger pour « reprendre des forces », de l'eau était mise à chauffer au-dessus du brasier. Alors, la dame partait pour quelques minutes, s'éclipsant dans les fourrés et les hautes herbes. Et lorsqu'elle revenait, ramenant avec elle différentes herbes, racines ou feuilles, les végétaux rapportés furent aussitôt plongés dans l'eau frémissante.

La boisson douteuse était versée dans trois gobelets en bronze, ces derniers distribués. Lancelot apprit alors que cette mixture était appelée infusion. Certaines plantes, la dame l'avait informé, possédaient des facultés différentes. De la médecine naturelle au pouvoir de calmer son consommateur, jusqu'à faciliter la venue du sommeil, le jeune homme avait eut l'opportunité de s'essayer à plusieurs d'entre elles.

Le rituel devint presque quotidien, et lorsque la flore les récompensait, ils pouvaient adoucir l'amertume de leur breuvage avec du miel.

Lancelot devait admettre qu'il se sentait déstabilisé sur beaucoup d'aspects. Lui, qui avait grandi au bord d'un lac avec pour seule compagnie une fée pour mère adoptive, élevé simplement, dans le seul but de devenir chevalier, se rendit compte maintenant qu'il ne connaissait rien de ce qui l'entourait. Le voilà revenu à ses années d'enfance. Le monde était inconnu à Lancelot. Ses habitants étaient inconnus à Lancelot.

"– Parlez-moi d'Avalon. Avait-elle demandé un soir, alors que le soleil commençait à se coucher derrière les arbres. Sire Gauvain était parti chasser, et Lancelot et la dame s'affairaient à couper en rondelles des carottes sauvages trouvées lors de leur voyage.

–Je n'en ai vu que très peu. Je vivais au bord des Lacs. Je n'ai toujours vécu qu'avec ma mère, les prêtresses et nous ne quittions jamais les environs, encore moins l'Ile. Il avait expliqué, jetant ses rondelles de légume dans la bassine d'eau au-dessus du feu.

–On nous l'a beaucoup contée, surtout à Carmélide.

–On raconte que Merlin le sorcier vient de la forêt de Brocéliande. De la curiosité flamboyait dans ses yeux lorsqu'il prononça ces mots.

–On raconte."

Et c'était là sa seule réponse, alors que les yeux de la dame se baissaient, Lancelot pouvait apercevoir le coin de ses lèvres vaciller vers le haut. Ils reprirent leur préparation en silence, bientôt rejoints par Sire Gauvain.

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant