Chapitre 15

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  Depuis Beltane, quelque chose avait radicalement changé dans la vie de Lancelot au château. Il essayait de ne pas y penser mais c'était là, juste sous son nez, constamment. Dès qu'il apercevait le roi dans une allée ou en bout de table lors des repas, une mesquine voix dans sa tête lui rappelait cette nuit sacrée.

Le lendemain de la célébration, il s'était réveillé avec une migraine qui aurait pu le conduire à se frapper la tête contre un mur à répétition si jamais le roi n'avait pas remarqué son affliction durant le déjeuner et avait proposé un remède sans même demander la nature de ses maux.

C'est là que Lancelot s'en était rappelé, le souvenir jusque-là flou et lointain dans sa mémoire venait le frapper avec autant d'intensité que le métronome dans sa boîte crânienne. Le souvenir de l'étreinte chaleureuse du seigneur, ses lèvres sur les siennes, le poids de ses mains sur son corps, l'ardeur doucereuse de ses baisers. La manière dont il s'était enfui avec lâcheté, couru loin du roi et de ses affections. Tout lui revenait comme un coup d'épée derrière la tête.

La première chose qui le rassura était que Galehaut ne semblait pas en colère contre lui, il ne manifestait visiblement aucun signe de courroux et s'enquérait même de sa santé. Lancelot voulut croire que c'était une bonne chose.

Mais plus les jours passaient et plus son hôte semblait distant. Ou peut-être était-ce simplement l'agonie soudaine de son absence constante mais le chevalier s'inquiétait quant à son devenir au sein du fort ou dans le cœur du roi. Le roi ne lui parlait pas, le regardait à peine, il se contentait de vaquer à ses occupations, de l'ignorer copieusement sauf quand il daignait lui accorder ici et là un sourire. Il le haïssait pour ça, il haïssait le sentiment aigu qui serrait sa poitrine. Ils ne s'étaient plus rapprochés et il n'osait comprendre que cela n'avait fait qu'entraîner sa mélancolie vers de plus profondes pentes abyssales. Il voulait son attention, ses yeux sur lui, ses mots, c'était un désir viscéral.

* * *

Et le seigneur lui, de son côté était tout aussi affligé si ce n'était pas plus. Quand son convive s'est enfui dans la nuit après avoir fait pleuvoir sur lui espoirs et joies les plus exquis, Galehaut pensait bien ne jamais le revoir.

Mais il fut présent au déjeuner le lendemain et était en proie à une douleur bien visible et apparemment éprouvante.

Il le savait, dans les yeux du Champion il ne décelait toujours qu'une seule question, muette mais encore plus meurtrière par son silence.

Et qu'était-il censé répondre à l'interrogation de ces iris divins ? Leur mentir ? Dire à Lancelot qu'il avait besoin d'un homme comme lui dans ses troupes, qu'il ne l'avait demandé dans l'unique but de le voler à Camelot, voler leur précieux et tant admiré Champion ? Les bruits couraient à Logres, il les avait entendus; partout et mêmes dans ses propres rangs, hommes et femmes, chevalier et commandants parlaient du mystérieux chevalier aux lames d'argent, de sa bravoure et fidélité inégalée, de ses aptitudes au combat légendaires. Personne ne savait vraiment d'où il venait, il avait entendu certains spéculer qu'il était un prince maléfique et vengeur venu d'un royaume lointain, d'autres chuchotant qu'il avait été enfanté par une fée ou une créature mystique. Rumeurs et histoires aussi effroyables que merveilleuses parcouraient les foules de combattants alors que le drapeau significatif du combattant invaincu apparaissait au loin il y'a des mois lors de leur arrivée au royaume après la promesse de paix, des hoquets de surprises aux frissons d'effroi.

Ou était-il censé lui avouer la vérité ? La douce torture qu'il faisait subir à son coeur et son esprit depuis qu'il l'avait vu, chevaucher si fièrement sur sa monture, couvert de sang ennemi, de sueur, ces yeux déterminés et avides, donnant l'impression que rien ni personne ne l'atteindrait un jour, un vrai dieu parmi les hommes ?

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant