Chapitre 13

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  Les deux compagnons prirent le chemin de Soreloise. C'était une terre située entre le Pays de Galles et les Iles étrangères. Galehaut n'en avait pas hérité, il l'avait conquise sur le neveu du roi de Northumberland, Gloier. Ce dernier avait péri au cours de la guerre, laissant après lui une fille, une très belle enfant dont la mère était morte en la mettant au monde.
Galehaut avait parlé de cette enfant à Lancelot lors de leur trajet ; le roi la faisait élever au milieu des honneurs dus à son rang et il avait l'intention, quand elle en aurait l'âge, de lui faire épouser un de ses neveux qui n'était encore lui-même qu'un jeune garçon. Dès qu'il serait fait chevalier, son oncle lui donnerait à tenir tout Soreloise, qui était bien le pays le plus agréable à vivre de toutes les îles dont est parsemée la mer de Grande-Bretagne : abondance de rivières poissonneuses, de forêts giboyeuses, de campagnes plantureuses, et pas trop loin des terres du roi Arthur.
Frappé et rassuré par la bonté de son ami, Lancelot s'était trouvé apaisé par son départ. Il avait quitté la cour du Haut-Roi sur un coup de tête il était vrai, et même si Galehaut n'aspirait qu'à la confiance et l'amour, le chevalier lui, ne pouvait s'empêcher de craindre cette patrie inconnue. Et encore, craindre le roi lui-même. Après tout, peut-être ne faisait-il que bonne figure ? Allait-il l'emprisonner dans un donjon quand le temps serait venu ? Le tuer ? Peut-être l'attirait-il dans ses filets afin de mieux lui extraire des informations sur son seigneur lige, ou afin de le rallier à sa cause, avec ou contre sa volonté ?

Une autre partie de lui était fière. Trop. Lui, simple païen de perdition, avait réussi à captiver le roi le plus craint de toute Grande-Bretagne, s'attirer ses amours aussi facilement, en l'ayant vu au combat ?
Et pour cause, au château de Galehaut, le chevalier possédait des appartements dignes du plus grand seigneur, une écurie pour y garder sa monture et des vêtements fastueux qu'on aurait pu voir sur les épaules du Haut-Roi lui-même, il l'aurait juré.
Les cadeaux et les offrandes de Galehaut affluaient au rythme des jours ; il le couvrait de dons et d'étrennes sans jamais s'arrêter : des capes, des chevaux, des tapis de selle tissés d'or, des rennes et des licols neufs dès que certains commençaient à se détériorer... et plus encore qu'il ne pouvait compter.

Ainsi, Lancelot avait libre accès à tout le territoire du roi. Les forêts denses favorisaient la chasse plus qu'aucunes autres, les steppes verdoyantes s'étendaient à perte de vues et le chevalier passait ses journées à chevaucher à en perdre le souffle, sous la pluie ou la neige, qu'importe tant que la liberté lui était donnée.
Mais malgré tout, il avait passé des jours déstabilisant et bien étranges au début. En premier, il se forçait à conserver la rigueur dont il devait faire preuve à Camelot ; le matin, il se levait à l'aube même s'il n'en éprouvait aucun besoin. Il continuait à s'entraîner sans relâche à l'aide d'étranges mannequins qu'il trouvait dans les tréfonds de ses écuries. Quand sa présence n'était pas requise aux côtés du roi, la journée il chevauchait ou s'occupait de ses chevaux. Même parfois, il allait paresser, se laissait aller à l'indolence dans la bibliothèque royale dans de vaines tentatives de se rappeler Camelot.

Camelot, la belle et grande Camelot lui manquait intensément. Malgré le statut qui lui était offert à Soreloise, tout ici était si différent de la Cour du Haut-Roi. Là-bas, où il était chevalier doré, adulé et adoré, glorieux champion incontesté, ici, il n'était que barbare cruel et sanguinaire qui avait arraché à leurs foyers tant d'époux, de frères et de fils. Celui qui avait porté leur chair et leur sang comme une cape somptueuse, comme un étendard. Il était le païen dont on ne savait rien, le sorcier féroce qui avait emprisonné leur souverain dans une étreinte de brume, une cellule dont seul lui avait les clefs, pour lui arracher sa victoire tant méritée.

Et il se targuait de cela, distribuait sourires cruels et regards noirs, cela l'amusait presque de voir le peuple lointain reculer à sa vue.
Mais il s'était vite rendu compte d'une chose : il aimait l'attention, il l'adorait, et bien plus qu'il ne le pensait. Depuis qu'il avait quitté Camelot, il était comme une plante privée de la lumière du soleil ; personne pour le louer ou l'acclamer si ce n'était le souverain.
A Soreloise, plus de roi Arthur pour féliciter ses exploits lors des jeux où ses stratégies militaires hors pairs. Plus de reine Guenièvre pour complimenter les victoires de son champion. Plus de sénéchal pour, indirectement, renflouer son égo. Les frères des Orcades lui manquaient et il devait s'avouer qu'Agravain aussi malgré tout.

Ici, il était bien seul, seul le roi semblait vouloir lui consacrer son temps. Dans certains cas, il lui rappelait le Haut-Roi par bien des aspects. Tout comme Arthur, il semblait constamment quémander son attention, son opinion sur tout un tas de sujets. Galehaut possédait également son lot d'avantages par rapport à son seigneur lige ; tout d'abord il n'était pas chrétien, ou du moins il ne le montrait pas. Lancelot avait bien aperçu quelques crucifix perdus en haut de certains murs mais rien autour du cou du géant, pas de bible qui prône glorieusement dans la bibliothèque, pas de majestueux sapin ou de couronne de houx sur les portes à l'approche de "Noël".

Au contraire, Lancelot pensait même que le roi se préférait aux confessions antiques ou celtes. Un jour dans l'éclair d'une manche relevée, le jeune chevalier aurait juré apercevoir un entrelacs d'encre sous la peau du géant, rien qui ressemblait à un symbole catholique, mais plutôt une double lune centrée d'un cercle ? Il ne l'avait vu que trop rapidement pour se faire un avis et pourtant, cela avait suffit à éveiller sa curiosité sur les croyances du seigneur.

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant