Chapitre 27

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  La quête du Graal le tira de ses pérégrinations spirituelles au sein de Camelot bien assez tôt. Lancelot a passé un temps considérable au château après son retour des Iles Lointaines, s'est montré capable de revendiquer le titre de Champion à nouveau. Mais plus les jours passaient plus il était forcé de se souvenir de son ancienne affliction, se rappeler la raison sous-jacente à son initial départ de la Cour. Car c'était là sa trahison la plus grande à son roi et à son cœur ; son amour dévorant pour la reine.

Quand il pensait que s'en éloigner éteindrait les flammes ardentes de ses passions, il s'est trouvé terrifié de voir les sourires et les paroles de Guenièvre attiser les braises encore brûlantes de son amour. Et elles avaient enflammé à nouveau son coeur et tout son être, léché et dévoré tout sur leurs passages. En se débattant contre ce brasier, Lancelot avait sans le vouloir, jeté les derniers lambeaux de sa raison au feu.

Il était évident qu'il ne put se contenter de sa passion, que cet amour ne puisse être profitable. Ni à lui, ni à la reine. Ni à personne d'autre, d'ailleurs. Et quand bien même cela aurait pu être le cas, le voulait-il vraiment ? Voulait-il manquer à son roi ? Voulait-il manquer à sa reine ? Voulait-il manquer à son titre, à ses obligations ? Voulait-il se manquer à lui-même ? Voulait-il répondre à cet amour ? Et s'il le faisait, voulait-il endurer les mortelles douleurs et cruelles parjures qu'engage toujours l'amour ?

L'avait-on remarqué ? Est-ce que les rumeurs couraient déjà sur la reine et son Champion ? Avait-il porté préjudice à sa souveraine sans le vouloir ?

Toutes ses résolutions étaient inutiles, elles tombaient en ruine aussitôt échafaudées, s'écrasaient au sol comme de vieilles tourelles tout droit tirées des contes de fées, comme celles dans lesquelles on enferme les demoiselles en détresse ou les sorcières.

Il répondait aux questions qu'ils se posaient le jour précédent, faisaient le lendemain tout l'inverse de ce qu'il avait conclu. Alors il le savait, il fallait arrêter le moulin infernal. De force s'il le fallait ! De force s'il le fallait on devrait l'arracher à sa reine, à sa belle Camelot et à son seigneur doré. Il fallait qu'on le mène sur les sentiers où tant de chevaliers avant lui ont trouvé la mort ou le déshonneur, sur les chemins où tant de saints avant lui ont trouvé repentance et sagesse.

Plus important encore il n'avait pas oublié sa quête, celle qui lui apporterait bien plus que l'amour de sa reine ou la pénitence à ses ardeurs ; le Saint Graal.

Sacrifiant son heureuse présence au côté du couple royal ou ses compagnons chevaliers, Lancelot avait donc décidé de se retirer afin de partir à la recherche du saint calice. Pour combien de temps, il n'en savait rien. Devait-il s'en soucier ? Certainement. La Cour allait lui manquer, mais il repoussait ces doucereuses craintes avec soin. Avant de partir, Lancelot avait baisé la main de sa reine, offert allégeance et soumission à son roi une nouvelle fois.

Il prit la route après Yule, aux alentours de la moitié du premier mois de la nouvelle année. Sur sa route Lancelot croisa bien plus d'âmes qu'il ne l'aurait jamais cru ; des chevaliers errants, sans patries, qui désiraient duels ou éloge. Des moines en pèlerinage, des hommes de foi qui tentèrent plus ou moins de l'entraîner avec eux dans leur périple vers le paroxysme de leur adoration. Lancelot déclinait courtoisement, et repartait si tôt courir les champs ou les routes de terre battue.

Cette liberté retrouvée lui seyait bien, trop bien. Il allait de village en village, de seigneurie en seigneurie, d'auberges en auberges. Il était libre de ses dires, de ses mouvances, de ses voyages. Il se laissait porter par des 'on dits' supposés le mener vers la coupe dorée, comme les feuilles en automne sont ballotées au gré du vent. Son cœur était affranchi; libéré de ses ardeurs royales ou du moins en surface. Il abandonnait régulièrement ses affections à des amants croisés sur la route ; bruyantes filles de tavernes aux discrets écuyers des bourgades qui l'accueillaient pour un temps, jusqu'aux filles de seigneurs trop aimables dans leur naïve générosité. Mais jamais il ne ressentit pareilles passions que celles autrefois accordées à la belle Guenièvre ou au généreux Galehaut.

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant