Chapitre 4

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  Aloïs était venu lui rendre visite régulièrement, à raison de quatres passages par jour ; trois fois pour lui donner de la nourriture,une ultime fois le soir pour s'assurer qu'il ne peine trop à s'endormir. La plupart du temps, Lancelot ne voyait pas son quatrième passage. Les journées étaient longues, plus longues encore qu'au bord du lac. Il ne pouvait pas bouger, et savait qu'il était surveillé à toute heure du jour et de la nuit même si les veilleurs ne se montraient pas.
Les heures étaient affreusement longues, et il n'avait pour seules distractions que les motifs noueux du bois des poutres et les hennissements des chevaux de temps à autre. La patience était pourtant une vertu durement apprise au gré des années passées au bord du lac, mais elle commençait à s'effilocher, et ce si bien qu'un jour il demanda à son jeune infirmier s'il allait pouvoir sortir de sa prison bientôt.

" –Pas tant que la reine ne m'en aura pas donné la directive, messire Lancelot. avait alors répondu Aloïs.

La mention de la souveraine suffit à faire se tordre l'estomac de Lancelot et chavirer son cœur. S'il avait correctement compté, alors ça faisait deux semaines et quatre jours qu'il pourrissait sur sa couchette et qu'il n'avait pas vu la déesse qui hantait ses nuits. Et bien qu'il ne l'eût connu que pour quelques jours, il lui semblait qu'il mourrait sans elle, s'éteignait à petit feu, fannait comme un tournesol privé de soleil. A chaque fois que l'aube se levait, alors que le rideau était tiré pour faire entrer un nouvel arrivant, Lancelot se surprenait à prier quiconque voulait l'écouter que ce serait sa belle, seulement pour être déçu par la vision d'un Aloïs portant un plateau de rations.

Et c'est par un de ces jours où le soleil brulait la terre battue et qu'il était encore une fois défendu à Lancelot, que la reine vint lui rendre visite. Au début, il s'était à peine redressé, quoique surpris d'un passage de son jeune commis à une heure si matinale. Il crut presque entendre son cœur s'arrêter pour entamer une cavalcade effrénée quand son regard se posa sur le visage de sa Dame. Il se tourna vers elle, et fut frappé par la grâce qui émanait de sa personne. Aussi rapidement que ses jambes engourdies d'avoir passé tant de temps allongé le lui permettaient, il sauta de son lit pour s'incliner devant la souveraine.

 –Ma reine. Souffla-t-il en ployant l'échine, exposant la nuque, un genoux au sol et les yeux rivés sur ses pieds nus. Et bien que la tête légèrement inclinée il ne pouvait s'empêcher de la regarder, son regard outrecuidant la déchiffrant derrière le rideau sombre de ses propres boucles.

 
Ce qui le frappa en premier fut ses cheveux. Ils brillaient au soleil qui traversait le verre des fenêtres, luisant si bien qu'ils semblaient blancs. Longue chevelure d'or qui tombait en cascade le long de son dos et se courbait à la volonté de ses épaules délicates pour finir posée sur la courbe de sa poitrine en longues vagues d'or pâle.
Suivait son visage. Sa peau pâle semblait de porcelaine et Lancelot était sûr que même la plus douce des caresses pourrait en briser l'éclat. Pour s'y accorder, la dame possédait des yeux bleus, orbes azures et plus clairs que le ciel lui-même, ils étaient bordés de longs cils blonds, entourés de deux marges de nacre vive. Dans ses pupilles on distinguait la détermination et une douceur infinie, ses yeux étaient fiers et la jeunesse y flamboyait tout autant que l'expérience du prestige et de la suzeraineté.

Sa robe de brocart accompagnait chacun de ses pas avec de légers bruissements de jupe de soie. L'habit gardait d'une couleur verte d'eau, émeraude pâle qui faisait écho au bijou de jade autour de son cou, et était richement décoré; le satin rehaussé de broderies d'or et d'argent, dessinant fleurs, feuilles et arabesques gracieuses argentées sur le tissu délicat. Son col était joliment tissé, les motifs rappelant aux argenteries présentes sur sa jupe. Les épaules étaient ornées de tulle beige, froissée et bouffante, qui venait s'échouer sur les broderies d'or de manches, fines et serrées autour de ses bras à l'aide d'un mince lacet. Puis, lesdites manches s'évasaient lorsqu'elles atteignent ses coudes, formant deux délicates cascades de tissu aux doublures d'or et de beige, donnant finalement l'honneur à des manches fermées et serrées qui recouvraient ses avants bras, elles aussi brodées de richesses, symbolisant en tout et pour tout le stricte et la rigueur de son rang. Enfin, sa taille fine était lâchement étreinte par une ceinture de cuir mince et si finement gravée qu'on pourrait facilement la confondre avec du ruban.

Drapée d'une irrésistible sobriété, elle semblait maîtriser chaque muscle et tressaillement de son visage alors qu'elle lui souriait.

 –Messire Lancelot, commença-t-elle, la voix comme la plus douce des mélodies aux oreilles du jeune homme. "Aloïs me rapporte que vous vous languissez de l'extérieur. -Lancelot se sentit rougir d'embarras- "Je viens vous annoncer deux nouvelles.

Elle s'approcha lentement quand Lancelot se redressa, droit et fier, le menton levé. Elle s'avançait vers lui ; bienveillante, digne, divine, pleine de bonté et douce, avec toute la grâce et le charme qu'on accorde aux reines, aux princesses et aux fées dans ces contes qu'il avait entendu mille fois . Presque comme l'on s'approche d'un petit animal blessé.

–Premièrement, je me permet de vous gratifier de votre patience en vous offrant la sortie de l'infirmerie. Ensuite, j'ai parlé de votre cas au roi.


Elle marqua une pause, et Lancelot sentit sa respiration se bloquer dans sa trachée, il se retrouvait pendu à ses lèvres dans l'attente du reste, la gorge nouée d'angoisse, émotion nouvelle mais pourtant oh, si méchante, vile nymphe, sœur de la Peur, qui venait s'enrouler autour de lui quand vint la nuit sombre depuis qu'il ait quitté le lac.

–Nous avons conclu que pour prouver votre valeur et montrer vos aptitudes, une fois que vous serez complètement rétabli, le roi Arthur vous convie à prendre part aux joutes qui auront lieu prochainement.

Dans sa voix plate, réservée, Lancelot pouvait déceler une certaine quiétude, délicatesse allant de concert avec l'éclat soudain de ses yeux céruléens, et le jeune homme se targuait en silence d'en être la cause.

–C'est un trop généreuse aumône que vous me faites, ma dame. Il répond, les yeux impétueux qui l'avisent avec trop d'audace malgré son dos courbe, créature insolente et insatiable qui ne sait se contenter.

–Sachez l'honorer alors, messire."

Et avec ça, juste comme ça, elle adresse un sourire entendu accompagné d'un hochement de tête gentil, adieu courtois. La voilà partie, envolée, éclipsée dans la fumée grisâtre d'une bougie doucement soufflée, laissant Lancelot pantois et encore haletant de la rencontre, le souffle court et les yeux remplis d'étoiles.
  Et à l'endroit où se tenait autrefois la reine, son cœur gisait à présent, écorché à vif et battant vainement sur l'autel de son amour.

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant