Chapitre 26

11 0 0
                                        

  Le froid mordait les joues de Lancelot, rendait ses doigts engourdis si bien qu'il se forçait à serrer et desserrer les rênes compulsivement afin de ne pas leur faire perdre leur mobilité. Sa monture s'enfonçait progressivement dans plus de neige à chaque pas, et il lui semblait que les innombrables couches de laine qu'il avait enfilées ne soient que trop peu légères.

A ses côtés la reine chevauchait, doucement, sans un mot. L'hiver avait recouvert tout de son épais manteau blanc, avait tout étouffé, chaque bruit, chaque son et ce jusqu'au bourdonnement des courts d'eaux qu'il avait gelé comme si dérangé par leur chants infatiguables.

Guenièvre regardait le paysage, le décor de leur pièce alors comme arrêté dans le temps. Seuls la brise dans leurs tympans et le crissement de la poudreuse sous les sabots de leurs chevaux perturbaient le silence de leur balade.

–"N'avez-vous pas froid, ma reine ? Lancelot demanda, guidant sa monture plus proche d'une rivière. Il supportait bien plus le froid que n'importe quel sujet de Camelot après tout. En tant que chevalier, les patrouilles, les combats et les guerres étaient menés par tout les temps, ce qui conduisait évidemment à devoir dormir dans des endroits mal isolés, des campements de fortune à même le sol parfois. Il donc n'était pas rare que les chevaliers se retrouvaient pelotonnés les uns contre les autres lors des froides nuits d'hiver, blottis à cinq ou six sous des fourrures afin de se garder au chaud. Cependant Lancelot savait que ces habitudes là ne s'étendaient pas à la reine, et il s'enquit évidemment de son état par de telles températures – il ne voulait pas la voir malade par sa faute, ou pire.

–Non, Sire, je vous en remercie.

Elle souriait à nouveau, de ce sourire presque juvénile, comme un enfant devant le paysage de l'aube enneigé, avec cette joie communicative et cette douce admiration. La blancheur éclatante de la neige faisait écho à la peau pâle de la souveraine, transpercée alors par l'éclat de ses yeux. Dans les tresses et les portions lâches de ses cheveux s'emmêlaient des flocons qui luisaient au soleil timide, et juste comme cela on aurait dit des étoiles prisent dans ses cheveux, une image qui correspondait trop bien à sa reine, pensa-t-il.

Voilà trois mois qu'il était rentré à Camelot, trois mois qu'il continuait à faire ses preuves en tant que Champion et protecteur de la reine. Les balades s'éternisaient toujours, les soirées à la lueur des bougies avec. La routine avait repris de manière ponctuée, comme s'il n'était jamais parti. Ses journées étaient rythmées par les entraînements des jeunes recrues, des promenades calmes avec sa souveraine, des discussions avec son roi. Trois mois loin des Îles Lointaines et de Galehaut et trois mois qu'il se forçait à ne pas y penser.

Il ne pouvait s'empêcher de penser au seigneur Galehaut, à ce qu'il avait laissé derrière lui, à leur existence. Leur existence ? Non, cela ne pouvait être vrai, il avait toujours été égoïste, rongé par sa vanité et ce premier amour le lui avait brutalement appris. Il ne pouvait y avoir d'eux, de 'nous' lorsqu'il avait si lâchement quitté Soreloise malgré le destin auquel il prétends. Pouvait-il d'ailleurs vraiment considérer ça comme un premier amour ? Avait-il l'audace d'employer ce terme ? Ces mots que tous les jeunes amants ont usé et abusé, ces mots jeté grossièrement comme l'on jette du pain aux mendiants, comme l'on jette des graines aux oiseaux pour une sustentation trop brève. Galehaut l'avait embrassé, l'avait gardé et avait juré amour et reconnaissance, mais était-il sincère ? Ou était-il, lui aussi, aveuglé par des émotions effusives, complexes et soudaines ? Ils n'étaient pas exclusifs, ne l'avaient jamais été pendant sa période de séjour. Il se trouvaient à l'ombre des alcôves la journée, se retrouvaient tard dans la soirée, lorsque le soleil se couchait en même temps que les regards et les oreilles trop curieux. Rien de cela ne le liait proprement au seigneur, pas plus que les liens qui le retenaient aux amantes d'un soir. Peut-être Galehaut l'avait-il d'ailleurs déjà remplacé. Il ressentit un pincement de cœur à cette pensée, et la repoussa loin dans son esprit torturé, rangée avec les douloureuses et cruelles imaginations de son âme en peine.

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant