Chapitre 21

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   Le trajet était long, bien plus long que l'aller. Sans le seigneur Galehaut à ses côtés pour lui parler, sans sa simple présence, Lancelot s'ennuyait copieusement.

Bien vite après son départ, le chevalier a abandonné sa calèche. Trop ennuyé de rester assis dans cette roulotte de bois, il avait gentiment congédié le cocher en échange d'un de ses chevaux. Et depuis, il chevauchait aux côtés des soldats de Galehaut.

Les hommes en armes n'étaient présents que physiquement, d'ailleurs. Aucuns ne parlaient, seulement des chuchotements entre eux mais jamais aucun mot adressé à Lancelot.

Ils avaient chevauché dans le silence le plus complet. Personne ne se plaignait de la chaleur encore écrasante malgré le début du mois d'octobre. Lancelot s'attendait presque à entendre les messes basses qui se proféraient derrière lui. Mais il n'entendait jamais rien. Sûrement parlaient-ils de sa relation avec le seigneur de Soreloise. En bien, en mal ? Il ne savait pas et il ne voulait pas savoir.

Il n'avait pas quitté Galehaut depuis 2 jours et déjà il lui manquait. La météo et la chaleur qui l'étreignaient n'étaient rien comparé aux embrasses du roi, la cadence régulière des pas de sa monture ne rivalisaient pas avec la manière dont son amant le berçait tard dans la nuit.

De près ou de loin, tout lui rappelait la vie au côté de Galehaut et il désespérait un peu plus à chaque pas vers Camelot. Lancelot ne savait pas ce qui l'attendait là-bas. La belle et grande Camelot qui l'avait accueilli à bras ouverts, qui le voyait comme son Champion doré, le seul et l'unique, celui qui les sauverait tous, cette Camelot là semblait à nouveau inconnue, étrangère. Est-ce qu'il allait être adulé par son retour, ou au contraire détesté par son absence ? Arthur, son éternel seigneur lige, serait-il déçu ? Ou heureux, soulagé ? Et Guenièvre, sa reine. A chaque fois qu'il y pensait, ses entrailles se tordaient, un frisson nerveux le parcourait tout entier. Lancelot ne parvenait pas à déceler s' il désirait les revoir ou non. Son esprit et son cœur, en perpétuel désaccord, semblaient être plus en rage que jamais.

Loin du château de Galehaut et son confort familier, Lancelot se retrouvait à nouveau jeté dans la gueule du loup. Plein de doutes et de regrets, il redoutait l'échéance de son voyage.

* * *

Les mois avaient semblé être aussi longs que des années à Camelot.

Après le départ de son adjoint et meilleur ami, le roi Arthur s'était retrouvé bien plus seul qu'il ne l'aurait imaginé. Et au fil de leurs correspondances, il s'était trouvé de plus en plus confus.

La relation qui les unissait, bien que récente, semblait aux yeux du roi la plus importante qu'il ait jamais eue. Oh, il avait hésité lorsque le roi Galehaut avait offert la paix en échange des amitiés de son jeune confident. Tellement. Il avait passé de longues nuits blanches à réfléchir, tourner et retourner dans ses draps, fixant la Lune comme si elle pouvait offrir une réponse à ses doutes. Finalement, il a accepté. Si Lancelot passait quelques semaines à Soreloise, peut-être allait-il l'apprécier ?

Et lors de son départ, il sentit toute la solitude du monde s'abattre sur ses épaules. Même avec la présence de sa compagne, il lui manquait une grande forme fine et juvénile qui dansait à ses côtés, qui menait des discussions pleines d'esprit et d'humour, qui le fixait de ses grands yeux verts, cherchait ses rires et ses sourires. Les écuries lui semblaient moroses, les appartements à côté des siens étaient vides depuis des jours, et il se plaisait parfois à y rentrer, caresser les meubles, en nettoyer la poussière pour se donner l'illusion vaine d'une présence en ces lieux. Il changeait la literie, ordonnait le secrétaire régulièrement, dans l'espoir un jour de voir le chevalier pousser la porte en chêne.

Puis, leur correspondance devint ambiguë, confuse, brouillée entre ce qu'il devait prétendre et ce qu'il devait laisser transparaître, entre ses faux semblants et ses sentiments. Il s'attelait a ses écritures passionnées tard le soir, laissant les étoiles et la flamme de sa bougie mener sa plume et dicter ses mots. Il se mit à attendre les lettres tel un jeune enfant à Noël, le cœur battant chaque fois qu'il brisait le sceau de cire.

Et, quand tôt un matin on entendit les gardes crier d'ouvrir les portes des murailles et les cor sonner, le roi se sautait de sa chaise et se précipitait aux portes du château, Guenièvre sur les talons.

Aussitôt qu'il attendit les acclamations de son peuple, Arthur sut. Et la vague de joie qui le saisit était trop forte pour qu'il ne puisse garder un visage impassible.

Se mordant les lèvres pour retenir un sourire à s'en fendre les joues, il trépignait devant les portes du château, son regard verrouillé sur le cavalier qui se dirigeait vers lui. Il sautillait presque, se balançait d'un pied sur l'autre sous le regard amusé de sa compagne qui vint bientôt entrelacer discrètement ses doigts aux siens.

Il allait enfin le revoir. Lancelot, son chevalier, son Champion. Son cœur battait fort, et il pouvait entendre son sang battre contre ses tempes.

La cour semblait tout aussi enjouée que lui, s'exclamant bruyamment sur le retour de leur Champion, grand et victorieux. Les camarades chevaliers de Lancelot s'inclinèrent avec respect à son passage, et Arthur sentait les doigts de la reine trembler dans les siens.

Comme si cela avait été naturel et inné pour lui, Lancelot semblait briller sous les applaudissements et les attentions dont il était couvert. Il semblait s'en délecter, comme s'il savait qu'ils leur étaient dûs. Et Arthur ne put qu'être d'accord avec sa dernière pensée.

Fendant la foule, le chevalier attirait tous les regards. Il rayonnait, volant la vedette au soleil qui se levait derrière lui. Le roi ne pouvait décoller ses yeux de l'homme, comme hypnotisé, il l'admirait sourire à son peuple retrouvé comme s'il était lui-même leur souverain, leur dieu tout puissant.

Et enfin, il mit pied à terre pour s'incliner, jurer à nouveau allégeance. Le souverain présentait le sa main, dont Lancelot se pressa d'embrasser le dos de sa main, signe ultime de sa soumission renouvelée.

"–Mon roi. C'est un honneur d'être de retour parmis vous.

Arthur ne put se retenir plus longtemps. Il envoya valser tous les codes de conduite, et se jeta dans les bras de son chevalier. Il le serrait de toutes ses forces, chuchotant son prénom dans son souffle. C'était comme un rêve de le voir devant lui, et Arthur voulait s'assurer qu'il n'était pas une autre belle illusion de son esprit tourmenté par une absence maudite, qu'il ne s'évaporerait pas à son contact comme la fumée d'un brasier, comme un rêve dont on se réveille trop tôt et après lequel on court derrière pour vainement tenter de le rattraper.

Arthur serrait son ami aussi fort qu'il le pouvait, humait cette odeur familière de petrichor qu'il trouvait encore et toujours au creux du cou de son chevalier. Il n'eut aucune pensée pour les pièces d'armure qui devaient s'enfoncer douloureusement dans la chair de Lancelot par son étreinte passionnée.

–Sire Lancelot, c'est avec un immense plaisir que tout Camelot vous accueille à nouveau ici. L'honneur est tout bonnement votre retour."

Lancelot sourit à nouveau. Arthur ne s'était jamais senti aussi heureux depuis de long mois.

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant