Chapitre 20

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  C'était une sensation vertigineuse que d'avoir le corps du seigneur au-dessus du sien. Grand, bien plus grand que lui, il semblait l'envahir et le surplomber de toute cette force et cette puissance innée. Il prenait grand soin à ne pas le blesser de son poids, avait même repoussé les boucles brunes qui tombaient dans les yeux de Lancelot, et c'était un mouvement de dévotion qu'il n'avait jusque là jamais connu mais qui emplissait le chevalier de crainte autant que de désir.

La tête de Lancelot dodelinait de gauche à droite dans le plaisir dans lequel il se noyait, voyageait comme entre deux mondes,entre la raison et le désir. Les rayons orangés du soleil levant passaient à peine à travers les rideaux, venaient caresser de leur délicate lumière le corps dénudé de son amant. Impétueux rayons qui atteignaient tout autant son propre corps, Lancelot le savait, le baignant dans la lumière de l'aube, les boucles brunes prenant des teintes blondes.

La lumière de l'astre faisait bien du mal aux yeux du jeune homme, qui, alors saisit l'occasion de s'agripper plus près du roi, riveter ses bras autour de son cou et soupirer sa douce extase à son oreille. La lumière découvrait au grand jour son corps alangui et tendu, ouvert aux supplices délicieux que prodiguait son amant. Il souriait en se mordillant les lèvres, comme pour étouffer ses bruits qui n'en demandaient que plus.

Il frissonna lorsque les poussées se firent plus dures, moins courtoises dans leur force mais jamais méchantes dans leur tendresse. Malgré les grandes paumes qui saisissaient sa taille, Lancelot ne pouvait déceler qu'amour dans ces yeux assombris par le désir qui le fixaient.

Ses doigts glissaient dans les cheveux de feu de son amant et il s'efforçait à repousser les pensées qui venaient l'assaillir. Ce jour-là était le jour de son départ, la dernière fois qu'il aurait le seigneur de cette manière avant un long moment. Il caressait maintenant les épaules de Galehaut, les tâches de rousseurs présentes ici et là sur la peau laiteuse ou les multiples tatouages qui longeaient sa colonne vertébrale.

Tant de fois Lancelot les avait compté, glissé ses doigts sur les lignes fines, détaillant l'encrage. Le roi lui avait expliqué chacune d'entres elles, des runes diverses ; une pour le courage, une autre qui présentait la lettre 'G', une autre pour la force... Il pourrait redessiner les encrages les yeux fermés.

Mais vite, bien trop vite, Lancelot sentait le nœud familier du paroxysme de son plaisir se faire au plus profond de lui. Ils s'étaient unis des dizaines et des dizaines de fois ainsi mais il semblait toujours au chevalier que chacune était meilleure que la précédente.

Ils bougeaient de concert avec une lenteur douloureuse même si les mouvements du roi se faisaient de plus en plus irréguliers, annonçant la fin imminente de cette cruelle agonie.

Lancelot s'accrochait plus fort d'une main aux draps, piètres témoins de leur péché passionnel. De l'autre il serrait la nuque de son amant, gardant alors son visage près du sien alors qu'ils s'embrassaient à en perdre le souffle. Lancelot buvait les bruits qu'il arrachait de sa bouche, s'en délectant avec une envie égale à la sienne, et qui ne l'attiraient que plus bas dans le gouffre qu'était leur amour.

Osait-il l'appeler amour ? "Je ne sais pas si j'en suis digne" pensa-t-il alors que le roi s'échouait à ses côtés, tous deux pantelants et essouflés. Galehaut n'avait pas parlé et ne le faisait toujours pas alors qu'il jetait un bras autour du corps de son chevalier. Il n'avait pas semblé vouloir s'enticher de paroles volages et frivoles dans l'euphorie du moment.

Non, il avait semblé préférer les actions aux gestes, serrer Lancelot aussi près qu'il le pouvait. Parfois, quand il lui avait demandé, le seigneur répondait qu'il voulait le fondre en lui, couler le bronze de sa peau hâlée autour de son propre cœur pour en faire un moulage parfait afin qu'il ne le quitte jamais. Lancelot aurait pu en être effrayé s' il ne connaissait pas mieux l'ampleur des sentiments de Galehaut à son égard. Et à vrai dire, c'était terrifiant. Comment accepter le poids d'un amour aussi grand quand on ne savait même pas vraiment ce qu'était qu'aimer ? Comment supporter la dévotion toute entière d'un être légendaire comme le seigneur des Iles Lointaines ? C'était immense et mortifiant tout comme l'image de son amant. Mais c'était chaud et réconfortant quand il y pensait, seul le soir au fond de son lit, ou dans l'eau chaude de son bain. C'était une assurance d'importance. Pas quelque chose qui le rendait particulièrement fier, non. Aux côtés du roi, il avait abandonné son orgueil bien vite quand il s'était rendu compte qu'il n'était d'aucune utilité. Il semblait que sa seule existence servait à sustenter Galehaut alors pourquoi s'acharner ? Le roi se nourrissait de sa simple présence et il n'aurait pu rêver mieux.

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant