Chapitre 28

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  Trois années de prospérité et de fortune pour Camelot s'étaient écoulées. Lancelot vivait au fil des saisons et des missions, partant occasionnellement en voyage pour le Graal.

–Je commence à me faire vieux, Lancelot. Regarde-moi.

–Mais non Arthur. Tu es juste malade, c'est tout.

La reine aidait le roi à marcher, le soutenant par le bras avec douceur. Lancelot marchait à leurs côtés, une main sur le pommeau de son épée. Le printemps commençait tout juste, ils se baladaient tous les trois dans un champ où les fleurs des prés bourgeonnaient tout juste. Le vent soufflait doucement sur le visage du champion, les herbes hautes lui fouettaient les jambes au fur et à mesure qu'il progressait.

–Je partage l'avis de Guenièvre. Tu seras de nouveau d'aplomb d'ici une semaine où deux. Ce n'est qu'une fièvre saisonnière.

–Les fièvres saisonnières n'empêchent pas de marcher !

–Eh bien, il faut croire.

Arthur marmonna quelque chose d'inintelligible, et balaya les paroles de son ami d'un mouvement de main alors que Lancelot et la reine riaient de concert. Outre la maladie du roi, il est vrai qu'il avait vieilli. Mais ne l'avaient tous pas fait ? Beaucoup de choses témoignaient du passage du temps sur leur personne ; à commencer par leurs cheveux. Ceux de Lancelot étaient bien plus longs à présent, ses boucles venaient lui caresser les épaules en cascades irrégulières. Parfois, comme ce jour-là (car le temps était venteux), il les attachait en arrière, en nouait une partie à l'aide d'un ruban de soie donné par la reine lors des jeux ou d'un morceau de ficelle trouvé dans les écuries. Le reste sur sa nuque, trop court pour être attaché, restait lâche, comme quelques mèches mutines échouées sur son front.

La blondeur de ceux d'Arthur s'étiolait. Pas en mal, cependant. Ils n'avaient jamais été aussi blonds que ceux de sa femme ; et maintenant ils brunissaient, laissant comme survivantes seulement les pointes de ses grandes ondulations. Cependant il prenait grand soin à les garder à la même longueur ; de façon à ce qu'il puisse les ramener derrière ses oreilles, et les éloigner de sa vue. Ils volaient aussi au vent, lui donnaient un air enfantin malgré les traits encore durcis de son visage, douce oxymore à l'air noble et royal qu'ils lui proféraient.

Mais ceux de la reine, tressés pour l'occasion, ne bougeaient pas vraiment. Il semblait d'ailleurs à Lancelot qu'ils n'étaient que plus éclatants. De loin, on aurait cru voir trois enfants, trois petites têtes en ligne, comme trois bambins courant les champs pour y ramasser des fleurs. Aucun chevaux ne les accompagnaient, ils avaient décidé de partir en plein air et à pied, pour aider le roi à guérir de ses courbatures – bien qu'il se plaignait que la marche ne faisait que les empirer, et qu'il faudrait faire venir un palefroi avant leur retour au château car il ne pourrait très bientôt plus marcher.

–Repars-tu bientôt, Lancelot ? Arthur serra doucement le bras de sa compagne.

–Si le devoir m'appelle encore.

–Le Graal peut bien attendre. Guenièvre rétorqua d'un air léger, ce qui lui valut une expression renfrognée de la part de son mari.

–Le Graal n'attend personne, Guenièvre.

La reine leva les yeux au ciel, fit une imitation comique d'Arthur en souriant à Lancelot. Il baissa les yeux, mordit un sourire.

* * *

A l'occasion de l'arrivée des beaux jours et de l'anniversaire de Sire Gauvain, on avait organisé des jeux. Et justement, l'ainé des Orcades et le champion se préparaient à jouter. On allait souffler dans les corps pour annoncer le départ, quand un cri strident retentit. On l'entendit depuis les tribunes royales, où Arthur attendait encore la reine, alors en compagnie d'Elaine de Corbenic pour se préparer. Les gardes s'écartaient devant ce qui arrivait, tous se demandaient pourquoi. On le comprit bien vite : sur un grand étalon de jais, un cavalier se dressait, épée en main, et tenait à la pointe quiconque osait l'approcher.

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant