Chapitre 31

6 0 0
                                        

 Sire Perceval partait. On avait levé le royaume tôt, au son grave du cor. Ce matin là, on envoyait un nouveau chevalier à la quête du Graal. Tous y étaient attachés dès leur adoubement, c'était certain. Mais le Haut-Roi ne commandait que quelques privilégiés à se mettre activement à sa recherche, à partir en voyage pendant un temps indéfini. Ainsi, une ou deux fois chaque année, un nouvel homme d'arme se trouvait détaché provisoirement de ses fonctions de position au sein du royaume, et disparaissait pour des mois entier. Cependant, personne n'était jamais revenu en possession du calice sacré.

Le champion, le chevalier doré de Camelot, lui non plus, ne l'avait pas trouvé. Fatigués de chevaucher après de l'or ou du bois, un calice ou une femme, beaucoup eurent abandonné la quête trop tôt. Ils s'en trouvèrent maudits– certains mourraient dans de mystérieuses conditions, certains finirent bannis du royaume, retranchés dans les contrées lointaines.

Le chevalier pourpre, innocent, courtois et gentil Perceval, partait ce matin. Il devait chevaucher le nord, les côtes. Pendant que les chevaliers le saluaient poliment dans l'intimité des écuries, Lancelot restait en arrière.

–Sire, que votre route soit sauve. Sire Gaheris souriait à Sire Perceval, lui tendant son épée.

–Et le Seigneur soit avec vous. Reprit son plus jeune frère.

On entendit Sire Agravain ricaner. Sire Gauvain n'en fit rien. L'ainé des Orcades s'inclina face au chevalier pourpre, lui remit un ruban qu'il déposa dans le creu d'une paume désarmée. Lancelot ne put en voir la couleur. A ses côtés, Aloïs avisait la scène.

–N'allez vous pas saluer Sire Perceval, Sire ? Chuchota curieusement l'écuyer, lui jetant un regard. Du coin de l'oeil, Lancelot le jaugea, mordant un sourire tendre.

–Plus tard.

–Mais pourquoi ?

–Je me dois de le saluer devant la cour, au même titre que le roi. N'apprends on pas ça aux écuyer lors de leur formation ?

Le jeune homme se mit à rougir, babilla, dans une faible tentative de se défendre. Finalement il se tût, considérant certainement les conséquences de répondre à son maitre.

Puis, on rassembla la cour. Le palefroi de Sire Perceval fut armé et décoré, tout comme son cavalier. Les dames nouèrent des rubans autour des canons de bras du chevalier, symbolisant santé, chance et succès. Lancelot se tenait au côté de son roi. Ainsi, Sire Perceval chevaucha vers eux et mit pied à terre afin de saluer Arthur. Il s'inclina, baisa le dos de sa main.

–Sire Perceval, commença le roi, c'est avec un grand honneur que Camelot, la Table Ronde ainsi que moi-même, vous voyions partir à votre tour pour la quête du Saint-Graal. Faites honneur à votre royaume, et que le Seigneur soit avec vous.

Sire Perceval le remercia chaleureusement, puis se tourna vers le champion. Lancelot s'inclina de concert avec lui. Doucement, ostensiblement et à la vue de tous comme le veut la tradition, il noua autour du biceps du chevalier pourpre un énième ruban violet. Lancelot offrit un hochement de tête ferme à son camarade. Ainsi, vêtu d'or et de violet, Sire Perceval remonta à cheval. Serrant près de lui son écu où demeuraient, alignées, des croix d'or égales sur un fond de lila, balaya la foule des yeux avec une fierté trop voyante malgré cette appréhension qu'on sentait autour de lui. Lancelot dut mordre un sourire. La nouvelle génération de Camelot reprenait le royaume en main.

*  *  *

Sire Agravain n'avait jamais été un grand ami de Lancelot. A vrai dire, ils ne s'aimaient pas beaucoup, et le sentiment était mutuel. La raison de leur querelle n'avait jamais été claire, même entre eux. Lors de l'arrivée du champion à Camelot, Agravain était déjà présent. Seulement âgé de quelques années de moins, il venait tout juste de sortir des langes immaculées de prudence dans lesquelles on enveloppait les écuyers avant leur adoubement. Tout jeune chevalier, il semblait à Lancelot que l'autre homme le fixait toujours avec mépris. Avec cette lueur de dépréciation au fond des yeux, il portait toujours aux lèvres un rictus rempli de dédain lorsqu'ils se croisaient. Alors, tout naturellement, il lui avait rendu la pareille.

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant