Requiem Aeternam

Chapitre 16

   Un dîner en l'honneur des deux prêtresses fut organisé dès le soir de leur arrivée. Aussitôt qu'elles eurent passé la porte du palais, le seigneur Galehaut les avait conduites dans des chambres préparées au préalable , afin qu'elles puissent prendre repos après leur éprouvant voyage. Lancelot n'a pas pu voir beaucoup de sa mère ni de la deuxième fée, à son grand regret, mais il savait que le soir venu, il pourrait profiter de leur présence.

Au début, il n'éprouvait aucune envie de s'y rendre, aucune envie de revoir le roi et surtout dans de pareilles conditions. Il ne connaissait pas vraiment la nature du repas ni les nobles qui y seraient conviés et la pensée seule de devoir faire bonne figure devant la cour entière de Soreloise le rendait malade. Peut-être qu'il pourrait se prétendre malade, éviter le repas et quémander les deux nouvelles convives dans ses appartements ?

Mais il ne pouvait pas les laisser entrevoir ne serait-ce qu'un millimètre de l'agonie de son cœur. Et même s'il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, la douleur le rongeait toujours plus de jours en jours.

Il ne vivait que pour le soleil, l'attention et le regard d'autrui sur lui. Peut-être le roi s'inquieterait-il s'il ne se présentait pas au banquet ? Peut-être viendrait-il lui rendre visite ? Il fantasmait encore les affections de Galehaut et ne pouvait se résoudre à les abandonner même si chaque nouvel espoir était plus douloureux qu'un coup de poignard.

Puis sa mère était là. Il ne l'avait pas vu depuis plus d'un an et malgré tout, le manque prenait le pas sur sa fierté. Il voulait savoir pourquoi elle était venue de si loin pour lui parler, pourquoi ne lui avait-elle pas simplement adressé une lettre. La peur et l'angoisse tordaient ses entrailles mais il balayait ces émotions d'un tournoiement de sa cape.

* * *

D'un pas sûr il rejoignait finalement le banquet. Drapé dans une cape de velours vermillon brodée d'or et dont le col était bordé de fourrure d'hermine. Ce n'était pas sa cape mais celle du seigneur en vérité, et il espérait secrètement provoquer une réaction, attirer un de ces regards sombres et remplis d'adoration sur lui, susciter après tout, une affection, retrouver ces yeux qui lui brûlaient la nuque, faisait chavirer son coeur à chaque sourire.

Soigneusement enroulé dans son manteau cramoisi, il descendait les escaliers principaux alors que sa cape claquait au vent, et il se targuait à se croire être impérial en ce lieu alors que tous les regards furent tournés vers lui.

Et il redressait fièrement le menton, parcourait la salle d'un regard presque insolent et il le savait, le sourire qu'il arborait aurait pu paraître sympathique mais il savait mieux que quiconque la vraie nature de son expression.

Bien qu'il chercha du regard le visage familier de sa mère dans l'assemblée, la première chose qui le frappa dès son arrivée dans la salle fut le roi. Le monde avait disparu autour de lui et tout ce qui persistait était l'image surnaturelle du seigneur. En bout de table, il était empereur du tarot divinatoire, seule importance de la pièce et l'objet de toutes les admirations. Il était lumière et obscurité à la fois, à commencer par la brillance de sa peau à la lumière des lustres et des bougies mais qui ne rivalise jamais avec l'éclat de sa chevelure de feu, encore une fois maîtrisée dans un complexe assemblage de tresses, de perles boisées et d'entrelacs. Il avait constamment l'impression, et à chaque fois qu'il le voyait, que les méticuleux arrangements de mèches étaient toujours les mêmes mais sans jamais se ressembler.

Galehaut dominait l'assemblée de sa simple présence et il aurait pu simplement s'approcher, glisser ses doigts dans ses cheveux, libérer les boucles de leurs cages de soie. Il aurait pu encore une fois faire courir ses doigts sur ses épaules, peut-être même détacher les liens et les boutons qui maintiennent sur lui sa tenue royale. Découvrir ce qui s'étend en dessous, sa peau d'albâtre qui semblait rayonner de pâleur, les muscles et l'origine de sa force et sa grandeur dont Lancelot ne parvenait jamais à déceler l'origine.