Chapitre 18

2 0 0
                                    


Le lendemain, il avait paressé au lit toute la matinée. Enroulé dans les draps encore chaud du seigneur, Lancelot l'avait admiré travailler de loin, faisant mine de dormir. Il s'était emmitouflé dans sa cape, enfoui son son nez dans la fourrure tachetée. Il n'avait vraiment aucune envie de se lever, d'affronter la cour, sa mère... Ici, à l'abri des commérages et des yeux profanes, il se sentait apaisé.

Mais il avait fini par devoir descendre, présenter son âme à la cour. Et il la vu elle, Morgane. Elle gravitiait autour du seigneur sans arrêt. Belle dans son étoffe fine et immaculée, sa taille était ceinte d'une large ceinture d'or, son front d'une tiare similaire, à la manière des femmes hellénistes. Et la prêtresse regardait le jeune homme de cet œil fourbe, d'un regard mystérieux qui ne revenait pas à Lancelot. Et elle avait ce sourire au coin des lèvres, narquois s'il n'était pas moqueur.

Comme il en était jaloux ! Elle papillonnait autour de Galehaut constamment, lui souriait sans cesse. Et s'il ne savait pas mieux, Lancelot aurait eu peur de le voir tomber dans ses bras.

                                                                                             * * *


Rythmée par la présence retrouvée du roi à ses côtés, il semblait à Lancelot que sa vie recouvrait l'éclat autrefois offerte par son arrivée récente à Soreloise.

Il passait le plus clair de son temps avec lui, se présentait même aux réunions politiques

. D'ailleurs, ces dernières se faisaient plus rares mais pas moins tumultueuses. Les vassaux qui venaient se plaignaient de maigres revenus, de trop peu à faire sur leurs terres. Ils se plaignaient du règne de leur roi, et certains allaient jusqu'à menacer de se rallier au règne de Haut-Roi. C'est là que Lancelot avait découvert toute l'ampleur des conséquences de sa présence à Soreloise.

Même si beaucoup avaient fini par tolérer sa présence ou encore l'apprécier au sein du fort, en dehors on le méprisait et bien assez. Il n'y prêtait que trop peu d'attentions pour s'en soucier, vraiment. Mais au fil du temps, au fil des réunions et des lettres lues pour son amant le roi, il avait compris la raison du mécontentement des villageois.

Si Galehaut avait voulu étendre son territoire à Logres, c'est qu'il en était largement capable. Et qu'il en éprouvait la nécessité. En effet, l'économie se maintenait tout juste à flot malgré les efforts colossaux du roi et de ses conseillers. Les prêts étaient rares et délivrés aux marchands de confiance. Mais plus précisément aux artistes, auxquels Galehaut semblait comme toujours apporter une grande importance au sein de la vie du royaume. Cependant il était bien le seul, et les villageois s'impatientaient du manque de ressources alors accordées aux peintres et aux sculpteurs.

Ils savaient tous le bien qu'envahir Logres et la Grande-Bretagne tout entière aurait fait au royaume de Galehaut. Et même s'ils cachaient bien leur déception quant à l'échec de ce plan bien ficelé et qui avait tout pour aboutir, l'atmosphère sur les terres de Soreloise s'en faisait ressentir.

Et c'était ça. Galehaut, le grand roi Galehaut, le féroce seigneur des Terres Lointaines avait abandonné toutes ses ambitions politiques pour les bonnes grâces du chevalier noir, et tout le monde le savait. Et même si l'idée plaisait à Lancelot, le faisait se sentir important, aimé, indirectement, il s'en voulait. De sa simple existence il plongeait tout Soreloise dans une spirale infernale de désarroi.

Pour son amitié, le roi a abandonné tout ce qui l'aurait rendu puissant. Il a abandonné la haute couronne. Abandonné le mariage, la possibilité d'avoir un héritier. Galehaut avait un cœur immense, une générosité qui ne connaissait aucunes limites. Et pour cause, Lancelot se souvenait encore de la réception somptueuse pendant laquelle, bon Galehaut avait accepté de paraître en tant qu'amant de la Dame de Malehaut pour redorer l'image de la dame et faire bonne façade aux yeux du monde.

Les messes basses allaient à tout va, et parmi les peu de dégénérés qui souhaitaient la mort de Galehaut, Lancelot avait mille et une fois écouté les racontars qui faisaient éloge du roi pour quelques piécettes. On disait que lors des saisons de famine, le seigneur avait fait vendre ses propres bijoux à prix d'or aux quatres coins du pays pour donner à son peuple du pain et du vin. Il avait renoncé au mariage pour assurer l'héritage du royaume à son neveu –même si tout Soreloise ne s'attendait pas à voir leur roi se marier à une jeune femme dont il serait fou amoureux, car tout le monde connaissait bien les préférences de Galehaut même si personne n'en parlait à voix haute.

Mais malgré tout Lancelot n'osait tout avouer, n'osait encore mettre son cœur à nu quand il n'était même pas certain de la nature de ses sentiments envers le roi. Car voilà toutes les affres de cette histoire, il savait tout aussi bien qu'en réalité il n'y comprenait que peu de choses. Oh, comme il aurait voulu que le roi ne soit intéressé que par son corps, ainsi il le lui aurait donné et serait passé à autre chose sans grande culpabilité autre que s'offrir une fois de plus à une âme errante. Mais voilà qu'avant qu'ils se rapprochaient toujours plus. Galehaut le faisait rire, le captivait avec les histoires qu'il pouvait bien lui raconter, il lui parlait de tout et semblait toujours avide d'avoir son avis sur un sujet, puis il le regardait avec autant de dévotion que de luxure.

Et il s'était ouvert au roi. Vraiment, il l'avait fait. Il lui avait parlé de son enfance, puis de l'effondrement de tous ses souvenirs par les mensonges de sa mère.

Un soir, alors que ses pensées d'agonie avaient pris le pas sur sa raison et qu'il s'est retrouvé les poignets ensanglantés au milieu de la nuit, alors il s'était tourné vers le roi. Le seigneur l'avait accueilli, baisé son front et ses joues, tenu contre son corps jusqu'à ce que ses sanglots se taisent. Puis Lancelot avait repoussé son amant, dans un mouvement de pur dégoût de soi-même.

"–Arrête. Donne- moi tes mains. Je suis ton ami. Galehaut avait soufflé.

–J'ai peur de tâcher tes vêtements de sang.

–Tâche-les. Je n'en ai que faire."**

Lancelot se souvient avoir pleuré de plus belle.

Cependant la voix dans sa tête était toujours là, le rappel mortifiant de sa mission, de sa destinée. Il n'en avait parlé au roi mais les jours passaient et l'échéance se rapprochait terriblement vite, bien trop vite.

Galehaut lui avait offert son corps, son âme et tout ce qu'un homme peut offrir à un autre, au-delà du physique et du concret. Il était le symbole même de la bonté, de la tendresse.

Et Lancelot le savait, le roi donnait infiniment plus qu'il n'en recevrait jamais. 






----------------------------------

**Héracles et Thésée

Requiem AeternamOù les histoires vivent. Découvrez maintenant