Chapitre 11 : Un équipage de cœurs meurtris et d'hommes braves

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Je le suivis au dehors de la cabine et me trouvais sur le pont supérieur. Le soleil éclairait de toute sa lumière le navire qui avait quelque peu changé depuis que je l'avais vu. Le parquet était tout aussi sale et miteux que dans la cabine du capitaine et les belles couleurs bleues et dorées n'étaient qu'un lointain souvenir (ou peut-être un lointain avenir), laissant seulement la couleur triste et sombre du bois de chêne. La sirène semblait avoir déserté son poste, abandonnant la proue sans protection face aux fougueuses vagues. Une centaine de pirates attendaient les ordres du capitaine et je remarquai alors, ou plutôt reconnus, le port de Saint-Malo qui s'éloignait au loin en adressant un dernier adieu à ses fidèles compagnons qui repartaient sur cette mer tentatrice accompagnée du vent marin envoûtant. Ces pauvres hommes devenaient alors des hommes libres comme les poissons qui nagent à vive allure telles des étoiles filantes et dont le temps est compté pour pouvoir survivre dans cette eau trompeuse. Car bien qu'elle soit tranquille et accueillante, elle renferme les ténèbres les plus obscures et attire trop souvent les malheureuses créatures qui se sont laissées prendre aux ondulations charmeuses de ses vagues ; ainsi le port de Saint-Malo voyait partir ses fidèles habitués sans pouvoir les accompagner ou même savoir s'il reverrait un jour ces amateurs de bonnes bouteilles et de bonnes compagnies.

Je reportai mon attention sur les hommes en question. Tous étaient vêtus d'habits rapiécés, ce qui leur donnait un air triste et pauvre. Il me semblait qu'ils avaient dû vivre de terribles épreuves avec leurs cheveux ébouriffés et grisonnants de souci pour certains et les cernes qui contournaient leurs yeux larmoyants, féroces et même haineux. Quelque chose dans leur regard avait disparu et plus j'y faisais attention, plus je m'aperçus que leur regard avait perdus leur éclat, cet éclat qui reflète la vie, l'âme. Mais lorsque James Rosso s'approcha d'eux, toute trace de malheur disparut aussitôt et l'éclat disparu revint. Leur capitaine semblait leur inspirer la joie et la confiance qui un instant auparavant semblaient avoir quitté leur corps ainsi que leur âme à jamais. Celui-ci leur parla à part et lorsqu'il eut fini, il vint vers moi et me présenta à eux. Ils avaient l'air ravi de me rencontrer, certains me prenaient les mains et me faisaient mille baisers, d'autres me remerciaient en me serrant fermement les mains. J'étais tellement émue par toute ces manières attendrissantes que je sentis des larmes courir sur mes joues. James voyant mon émotion me prit par l'épaule et expliqua aux hommes que je devais me reposer car j'avais fait un long et épuisant voyage ce qui était très juste. Je le regardai avec reconnaissance et il me rendit mon regard par un sourire bienveillant.

Il m'emmena dans l'entrepont et, arrivée au pied d'une échelle usée par les nombreuses bottes qui avaient foulé ses échelons, je pus distinguer une faible lumière éclairant de son mieux une misérable porte mangée par les termites et autres nuisibles qui nous font voir que les biens ne sont pas éternels. L'endroit où nous nous étions arrêtés était d'une obscurité impénétrable. Quelques lanternes, restées allumées par quelques oublis, laissaient voir plusieurs centaines de hamacs fabriqués à l'aide de vieux cordages s'effilant ici et là. De vieux vêtements, d'où une odeur âcre causée par la sueur du rude travail de matelots s'en échappait, donnant à ce dortoir improvisé une impression de renfermé et de repère masculin, étaient dispersés un peu partout sur le sol.

—Ne vous en faites pas, me coupa de mes observations le capitaine, vous finirez par vous habituer à la vie de pirate, du moins je l'espère. Nous ne recevons jamais de jeune demoiselle ici ; ce qui explique peut-être cette porcherie, murmura-t-il comme pour lui-même avant de reprendre en s'adressant de nouveau à moi. Vous voyez cette lanterne au-dessus de cette porte ?

Il indiqua du doigt la porte que j'avais remarquée à mon arrivée sur l'entrepont et au-dessus de laquelle se trouvait cette faible lumière qui n'était autre qu'une lanterne où une bougie finissait de se consumer.

—Cette lanterne, reprit-il en me regardant la contempler, représente beaucoup pour mon équipage car tous ces hommes, si rudes et si braves que je vous ai présentés, ont eu une famille avec une femme et des enfants, ou des parents... Malheureusement, ils ont tous perdu leur bonheur, leurs espoirs d'amour par la faute de ces brigands. C'est ainsi qu'ils se sont enrôlés dans mon équipage afin de venger leur défunte famille et pouvoir sauver celles qu'ils n'ont pas encore détruites. Cette lanterne est là pour leur redonner l'espoir que je leur ai promis et pour qu'ils n'oublient pas qu'ils ne sont pas seuls.

—Et je ne vous abandonnerai pas, vous pouvez compter sur moi, lui affirmai-je avec toute la détermination que ce discours m'avait procurée.

James Rosso avait parlé avec la résolution de retrouver ces ignobles pirates qui répandaient le mal et le désarroi autour d'eux. J'étais irrévocablement décidée à aider ces pauvres hommes qui n'étaient pour certains au départ que d'honnêtes marins, pêcheurs ou commerçants et qui, par l'orgueil et la cruauté d'autres, ont été contraints d'abandonner leur respectable besogne, pillés et désespérés, pour aller vivre de la piraterie sur une mer capricieuse mais qui les avait acceptés malgré leur pauvreté. Désormais, ils n'étaient plus que des hommes à la recherche, non pas d'un trésor, mais de leur vengeance et du bonheur des autres ; ils n'étaient plus que des hommes recherchés par les autorités, dépouillés de leur bonheur passé ; ils n'étaient plus que de braves pirates incompris et j'avais bien l'intention de faire partie du voyage pour leur donner un petit brin d'espoir, infime soit-il mais je les aiderai coûte que coûte.

Seulement, une question subsistait : pourquoi aurait-on besoin d'une arme spéciale pour vaincre ces pirates et qu'avaient-ils d'inhumains hormis leur cruauté sanguinaire ? Je ne savais pas ce qui m'attendait et tout ceci devenait plus étrange et inquiétant au fil de mes pensées. Il fallait que je demande des explications au capitaine.

Celui-ci, qui avait eu le regard pétillant en m'entendant confirmer mon aide, me remercia et ses yeux noisette scintillant d'espoir et de joie rencontrèrent les miens. A cet instant, une chose étrange se produisit : mon cœur s'emballa sans aucune raison et le sang afflua rapidement à mes joues. Je ne savais pas ce qu'il m'arrivait ; c'était la première fois qu'une chose aussi incontrôlable et irréfléchie m'arrivait. Je me détournai vivement de James en marmonnant un « de rien » presque inintelligible. Du coin de l'œil, je vis le pirate esquisser un vif sourire avant qu'il ne se dirige vers la porte à la lanterne.

Le Temps d'un Souhait - Première PartieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant