Chapitre 20 : Funérailles

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Le reste de la matinée fut consacrée aux funérailles du jeune Antoine.

On le revêtit d'un costume propre et, à l'aide de vieux barils vides, les hommes construisirent un cercueil de fortune. Je les aidai en couvrant l'intérieur de draps et remplaçai les habituelles fleurs par des coquillages. Ensuite, le cercueil fut placé dans une barque. On installa le corps et chacun dit un mot d'adieu à son camarade parti trop tôt.

Quand vint mon tour, je ne pus retenir mes larmes et après lui avoir dit au revoir, je lui déposai un baiser sur sa joue.

Puis, se fut à James de lui rendre hommage :

—Ma première rencontre avec Antoine se fit à St Malo, commença-t-il la mâchoire crispée pour retenir ses sanglots. Nous nous étions arrêtés au port pour faire quelques... provisions. (J'adressai un embryon de sourire à James comprenant ce qu'il voulait dire par « provisions ». Il me le rendit et poursuivit.) Au port, il y avait une effervescence inhabituelle. Un navire venait d'accoster et, à son bord, se trouvait un naufragé. Lorsque le capitaine sortit sur le pont, après qu'un médecin se fut précipité à bord, il se dirigea vers une taverne. Tout le monde ne cessait de lui poser des questions, aussi fut-il contraint de raconter ses mésaventures. Il paraissait épuisé mais une lueur de fierté étincelait dans son regard. Le rescapé qu'il avait sauvé de la noyade avait été retrouvé dans un baril vide. C'était un baril parmi des centaines d'autres débris flottants dans l'océan. L'odeur du bois brûlé se trouvait être encore présente, lorsque, au loin, le capitaine avait vu la silhouette d'un navire disparaître dans le crépuscule du matin. Ce navire lui avait paru majestueux mais, pourtant, quelque chose dans ce bâtiment l'avait terrifié. Même s'il s'éloignait, le capitaine avait tout de même tenté, à l'aide de sa longue-vue, de reconnaître les pirates qui avaient commis cette barbarie. C'est alors qu'il vit une paire d'œil fauve le fixer jusqu'à disparaître complétement avec le navire. Ayant entendu parler de Revenger, il décida de s'éloigner au plus vite de ce lieu. L'un de ses hommes, son second, avait jugé bon de vérifier s'il y avait encore des survivants. Alors, le capitaine, accompagné de quelques marins, embarqua dans une chaloupe et entreprit de chercher un quelconque signe de vie, ou même un corps. Le plus surprenant et aussi le plus étrange, ce fut la disparition totale du navire et de corps. A part quelques débris, aucun corps ne flottaient à la surface et le navire semblait avoir été englouti. Comme si quelqu'un était passé avant et avait tout nettoyé... Pourtant, ils finirent par remarquer que l'un des barils paraissait plus lourd que les autres. Le couvercle étant manquant, ils s'étonnèrent que celui-ci ne soit pas vide. Ils s'en approchèrent donc et constatèrent avec surprise qu'un corps recroquevillé s'y trouvait. Voyant que le baril s'enfonçait de plus en plus, ils s'empressèrent de hisser le corps frêle. C'était un jeune garçon à peine âgé de dix ans. Seulement, à son réveil, il ne se souvenait plus de rien : qui était-il ? Que s'était-il passé ? Aucune réponse.

« Le capitaine ne pouvait le garder à son bord : c'était un lieutenant, il ne pouvait se permettre d'avoir un enfant avec lui. Il comptait le mettre à l'orphelinat mais la situation aurait été difficile pour le petit. Je m'étais alors approché du capitaine et lui avait promis de m'occuper du garçon comme de mon propre fils. Bien sûr, je n'avais pas pris le risque de donner mon nom au lieutenant...L'homme avait tout de même fini par accepter. »

James s'arrêta quelques instants, les yeux luisants, et se mit à fouiller ses poches. Il en ressortit une vieille bourse. Son velours bleu, quoique légèrement usé, gardait son aspect délicat.

—Le capitaine m'avait forcé à prendre cette bourse, reprit James en essayant de dissimuler ses tremblements. J'avais emporté l'enfant mais jamais je n'ai ouvert cette bourse. Elle était à Antoine et le restera toujours.

Sur ce, il vida son contenu dans le cercueil d'Antoine. Puis, lui et Ben s'installèrent dans la barque et quatre hommes la mirent à l'eau.

Le capitaine et son second ramèrent pendant quelques instants puis, le canot s'immobilisa.

Depuis le navire, nos compagnons et moi regardâmes les deux silhouettes refermer le cercueil. Ils prirent chacun un côté et soulevèrent la dernière demeure de défunt. Avec une grande délicatesse et la plus grande tristesse, ils déposèrent leur ami sur la surface de l'océan avant de le laisser rejoindre les profondeurs des abîmes.

Alors que le cercueil s'enfonçait dans l'eau, les hommes retirèrent leur chapeau et se mirent à chanter une complainte si triste et si belle que le temps sembla s'arrêter pendant un instant. Les paroles vagabondèrent autour de nous, s'infiltrèrent dans nos cœurs lourds. Elles fusèrent avec légèreté, voletèrent tels de petits oiseux battant des ailes à l'unisson. Elles contèrent la mort d'un homme dont le temps lui manqua pour revoir une dernière fois les siens, arraché par son plus grand amour, l'océan. Jamais plus, on ne se souviendra de lui ; seule la mémoire de l'océan continuera à se rappeler cet homme qui lui avait confié sa vie. Il sera sa dernière demeure, son dernier refuge et l'emportait à jamais loin des soucis accablants de la vie, loin vers le repos tant attendu...

Le soleil commençait déjà à se coucher, ce qui rendait la scène déchirante et inoubliable. Les yeux rivés sur le soleil couchant et la tête imprégnée de cette complainte si touchante et purement belle qu'elle me parcourait encore de frissons, je ne vis pas que la chaloupe était déjà arrivée à notre hauteur et que les hommes commençaient à la hisser.

James était blême, ses yeux étaient gonflés et perdus dans le lointain. Tricorne à la main, démarche hésitante, il salua ses compagnons et s'enferma dans sa cabine. Les autres retournèrent à leurs tâches après m'avoir saluée.

Ben resta près de moi. Je n'osais détacher mon regard de l'océan, là où le cercueil s'était enfoncé. Après un long silence bercé par le cliquetis de l'eau, Ben me déclara :

—Je suis heureux que vous soyez restée. James m'a dit ce qu'il s'était passé et à quel point il avait eu peur de vous avoir perdue. Vous n'êtes pas une marionnette, je vous l'assure. Nous n'avons jamais autorisé une femme sur notre navire. Pas que nous soyons misogynes mais les seules que nous connaissons sont, disons, très coquettes, et ne supportent pas la vie rude.

Je le regardai, un sourcil levé et un sourire taquin sur les lèvres. Il rougit et tritura son chapeau entre ses mains.

—Enfin, ce que je veux dire..., balbutia-t-il. C'est que notre capitaine vous fait confiance et vous admire beaucoup. En fait, je crois que tout le monde vous admire.

—Pourquoi cela ? m'étonnai-je en rougissant à mon tour.

—Eh bien, vous ne vous plaignez jamais de rien et vous vous accommodez de la vie sur mer malgré sa rudesse.

—Vous me rendez ce voyage beaucoup moins pénible que vous ne le pensez. Vous êtes tous si bienveillants et accueillants avec moi.

—Vous êtes notre invitée...

—Et vous, vous êtes de véritables gentilshommes !

Il me sourit chaleureusement et je me tournai vers la porte de James. A travers celle-ci, filtrait une lumière.

—Vous pensez qu'il s'en remettra, demandai-je inquiète. Il a l'air si chamboulé, si dévasté...

—Il faut lui laisser du temps. Antoine était comme son frère. Il s'inquiétait toujours pour lui.

—S'est-il souvenu de qui il était ? risquai-je.

—Malheureusement, non, soupira Ben. James faisait tout pour le rendre heureux mais Antoine paraissait toujours si...loin. Ne pas savoir qui il était le rongeait même s'il nous aimait beaucoup.

—Pauvre petit...

—Peut-être devriez-vous aller voir James.

—Vous pensez ?

—Pourquoi pas ? C'est bien vous qui avez redonné espoir à une centaine d'hommes, non ?

Ben me fit un clin-d 'œil et me donna une petite tape dans le dos.

—Allez mon p'tit. Vous êtes la seule qui puisse nous rendre notre capitaine lui-même.

Sur ce, il partit rejoindre le reste de l'équipage.

Le Temps d'un Souhait - Première PartieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant