Chapitre 8 : Ténèbres, divagations et réalité

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J'apercevais des ombres à travers mes yeux mi-clos. C'était comme si je faisais un très long rêve qui semblait ne pas avoir de fin. Mon subconscient me fit voyager autour de paysages indistincts, dans des brouillards impénétrables. Je survolais des ténèbres, des personnes que je ne connaissais pas et dont je ne voyais que des contours indéfinis. Tout était confus et je me sentais flotter parmi un monde qui ne me voyait pas, continuant son petit bout de chemin tandis que je restais seule à errer telle une âme en détresse, sans vraiment savoir ce qu'il m'arrivait. C'était une sensation très étrange que d'être ignorée, de se sentir abandonnée entre les brumes obscures et ces ombres ricanantes. J'étais terriblement perdue, je ne pouvais m'empêcher de penser que ma vie s'arrêtait ici, que désormais, je serai contrainte de vagabonder entre les arbres et les vies, de vivre parmi les secrets et les mensonges chuchotés au bord d'un sentier abandonné. Peut-être qu'Annie avait raison, ce coffret réalisait des vœux et peut-être m'avait-il punie de ne pas y avoir cru. Cependant, je ne l'avais pas renié puisque je l'avais toujours pris avec moi et lui étais restée fidèle car jamais je n'avais divulgué ce mystérieux secret.

Alors que je me lamentais à penser que ce fragile écrin m'avait maudite, les ténèbres qui m'entouraient et m'aspiraient ce mirent à tourner, tourbillonner et encore tournoyer, toujours plus vite, à un certain point que toutes les ombres se rapprochaient les unes des autres jusqu'à former une masse malsaine et horriblement sombre, s'épaississant au fur et à mesure que le tourbillon infernal accélérait sa frénétique ronde. A cet instant, des murmures se firent entendre, d'abord indistincts puis audibles. Des oiseaux piaillaient au loin, des grincements ainsi que des clapotements d'eau parvinrent à mes oreilles, puis les murmures se transformèrent en voix masculines. Seulement tout cela paraissait si lointain et cette étrange frénésie qui me provoquait des maux de têtes horriblement douloureux, si douloureux qu'il me semblait qu'un martèlement incessant cognait contre mon crâne aussi imperturbablement que les coups de bec incessants et réguliers des piverts en quête de nourriture, persistait encore et toujours. Soudain, alors que je me sentais une nouvelle fois défaillir, tout cessa brusquement : le tourbillon s'arrêta abruptement alors que je flottais toujours parmi ces brumes ténébreuses, je me mis à tomber dans un puits sans fin, ou presque, car alors que je hurlais de terreur face à ce nouveau tourment, une lumière aveuglante jaillit du fond du précipice d'où persistait ma chute infernale. Surprise, j'arrêtai de hurler et regardai avec espoir ce halo de lumière qui semblait me tendre ses bras. Mais je me mis à penser que ce n'était peut-être pas une lumière conduisant à celle de la vie mais à celle de la mort... J'étais alors horrifiée, je ne voulais pas mourir par la faute de ce maudit coffret, je voulais vivre toutes les belles choses auxquelles je rêvais, je voulais vivre une grande aventure et voilà que la plus belle et importante se terminait devant moi, à seulement vingt ans !? Je voulus m'extirper de ce gouffre mortel mais rien n'y fit : j'étais attirée par une force invisible vers ce précipice à la lumière immaculée. Je songeai à Annie, que je n'avais pas revue depuis ces six mois, à Mélanie, qui avait toujours été là durant cette période, à tous mes amis, à toutes ces personnes que j'avais croisées durant ma vie (ne serait-ce qu'une seule fois) et à toutes celles que j'aurais pu connaître et puis à monsieur d'Archin qui, malgré son excentricité et ses étranges manières, me manquera, enfin, bien sûr, si lorsque l'on meurt, nous pouvons toujours penser ou même se souvenir... J'essayais de me remémorer tous les merveilleux souvenirs que j'avais vécu lorsque, tout à coup, alors que le gouffre s'approchait de plus en plus, je tombai sur une surface moelleuse tandis que la lumière aveuglante s'éteignit lorsque le coffret tomba près de moi en produisant un bruit sec et mécanique quand son couvercle se referma. Suite à cette éprouvante descente parmi ces sombres ombres horrifiantes, je me sentais si fatiguée comme si le trou noir dans lequel je m'étais trouvée, avait absorbé toute l'énergie que j'avais accumulée grâce à l'adrénaline du voyage ; et sans me soucier de ce qui m'entourait ou de ce sur quoi je reposais, je m'endormis, ou peut-être m'évanouis-je...

Des pas martelant, des hommes criant des ordres, des mouettes s'affolant, et puis, le roulis d'un navire, me réveillèrent en trésaillant. Je ne me souvenais plus de ce qu'il s'était passé la veille, je pensais retrouver Mélanie ou même M. d'Archin sur le pont avec tous mes camarades, mais je ne m'étais pas attendue à être allongée sur un...lit ! Pourquoi étais-je allongée sur un lit ? Mais que m'arrivait-il ? Et soudain, comme on se remémore les passages d'un film ou d'un livre, tout me revînt...Le portrait de James Rosso et de son épouse mystérieuse, mes parole irréfléchies et le coffret. Je blâmai mon entêtement en me souvenant de l'avertissement de ma mère, celui qu'elle m'avait tant de fois rappelé : « Le coffret peut réaliser tous tes rêves, tes souhaits les plus profonds, les plus purs et même les plus irréalisables, alors prends bien garde à ne pas souhaiter des choses que tu ne voudrais pas vivre réellement, fais attention à bien contrôler tes émotions car ce sont les émotions qui guident le cœur et quelque fois, lorsque nous sommes en colères, jaloux ou bien haineux, il nous arrive de souhaiter des choses terribles mais d'autres fois, il faut savoir se laisser guider par ses émotions pour pouvoir vivre des choses merveilleuse...Je sais tout cela n'est pas très clair mais tu verras, quand tu l'auras vécu, alors, à ce moment-là, tu sauras et tu comprendras. »

Je lui répliquais toujours que je n'avais pas besoin d'un coffret pour savoir ce dont j'avais vraiment envie et que je ne croyais pas à ces superstitions de magie même si, il faut bien l'avouer, un peu de magie ne ferait pas beaucoup de mal dans ce monde où règne la cruauté et l'injustice pour encore bien des personnes...Cependant, Annie ne s'avouait pas vaincue et elle se contentait de me mettre en garde sur mon pessimisme et me disait que parfois les choses pouvaient sembler évidentes alors qu'en vérité, toute chose est complexe et qu'il faut patienter pour les comprendre. Ces paroles énigmatiques avaient pour effet d'attiser ma curiosité et d'agacer Annie par toutes mes questions. C'est pourquoi, je me retrouvais souvent, même presque toujours, à parler dans le vide sans me rendre compte que ma maman chérie m'avait raccrochée au nez...Je m'en voulais de ne pas l'avoir cru plutôt car l'endroit où je me trouvais n'avait rien à voir avec la somptueuse cabine du capitaine. Le lambris du plafond s'émiettait, les meubles étaient tous en bois miteux et partout, des parchemins remplis de dessins, de portraits de pirates, d'écriture étaient amassés comme si leur auteur les avait semés au fil de ses pensées et réflexions. Les murs étaient eux-aussi, en lambris, le sol recouvert de parquet usé et cependant parmi toute cette misère, une chose me parut familière : un grand hublot qui s'étendait sur tout un pan de mur. Il ressemblait étrangement à celui du navire que je venais de quitter, seulement il était beaucoup plus miteux et misérable. Je m'étais levé du lit et remarquai qu'il était aussi grand et imposant que celui de l'ancienne épave, mise à part que les baldaquins n'étaient plus là, que le bois s'effritait, que des draps jaunis le recouvraient et que la multitude d'oreillers s'était volatilisée laissant place à un coussin usé et rongé par les mites. Quelques bougies éclairaient faiblement cet endroit désolant et un seul tableau ornait les murs aux lambris ternes et vieillissants. Curieuse, je m'approchai de cet unique ornement mural et y vit un homme tout rabougri à la barbe grisonnante tout comme ses cheveux ébouriffés sur lesquels reposait un tricorne qui semblait avoir vécu plusieurs siècles. Son visage blême était indéchiffrable, on ne pouvait y discerner aucune malice mais aussi aucune trace de bienveillance ; cette même figure était assez empâtée malgré un nez mince et des lèvres pincées. Ses yeux reflétaient une lumière qui peut-être provenait de l'environnement qui l'entourait ou simplement était-ce l'éclat d'une passion lointaine et impossible mais aussi inoubliable. On aurait dit qu'une ancre s'était jetée dans les profondeurs marines de ses pensées, entraînant à sa suite les chaînes qui l'agrippent, l'empêchant de rester éternellement dans cet océan, puisqu'après une courte pause, elles l'entraîneront à nouveau hors de l'eau, loin de son rêve ; et comme tout homme qui n'a pas d'autre personne à aimer ou de chose à espérer, il s'accroche à cette passion, à ce rêve impossible et continuera de le garder dans son cœur, à l'abri de la réalité. Tel m'apparaissait cet éclat si profond et inconnu de tous.

Sous cette peinture, une planche de bois était accrochée portant l'inscription : « Capitaine Georges Lerabougri ». Cependant, ce panneau s'inclinait quelque peu sur le côté et dans le souci de le remettre bien droit, je le tournai légèrement. Dès qu'il fut à nouveau bien aligné, un étrange bruit sourd et métallique comme des chaînes que l'on tire, se firent entendre suivi peu après par une grande détonation de ferraille qui résonna dans toute la cabine et qui ne passa pas inaperçue car bientôt des pas précipités s'approchèrent de la porte. Agacée par ma trop grande curiosité, mais aussi terrorisée par l'idée d'être découverte et honteuse d'avoir provoqué ce cataclysme, je plongeai sous le lit afin de me cacher aux yeux de la personne qui s'apprêtait à entrer.

Le Temps d'un Souhait - Première PartieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant