Chapitre 24 : Des aides précieuses (suite)

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L'information eut du mal à parvenir jusqu'à mon cerveau et lorsque je la compris enfin, je me tournai vivement vers lui :

—Quoi ? Enfin, comment ?

—Disons que James n'y est pas vraiment le bienvenu..., marmonna-t-il.

Je le regardai avec insistance et sous cette pression, il finit encore par céder :

—Je vous assure Rosélia qu'il est préférable de ne pas se rendre en Nouvelle-France...

—Mais pourquoi ? m'impatientai-je, la curiosité s'emparant de moi.

—Je ne peux pas vous le dire, avoua-t-il désolé.

Il osa lever les yeux vers moi mais devant mon regard suppliant, il ne put que capituler.

—Bon, très bien...

—Merci ! m'exclamai-je victorieuse, en le prenant dans mes bras.

—Mais..., poursuivit le second aux joues rosies, promettez-moi de ne pas en parler à James. Il saurait que je vous en ai parlé.

—Bien sûr, vous pouvez compter sur moi, m'empressai-je de répondre trop curieuse pour attendre plus longtemps.

Ben se racla la gorge, sembla un instant hésiter, puis, finalement, déclara :

—Eh bien...Un jour, nous sommes allés en Nouvelle-France pour nous changer d'air. C'était quelques temps après la mort du capitaine Lerabougri. James avait à peu près votre âge et était désemparé. Il ne s'était pas préparé à diriger tout un équipage aussi vite. J'essayais de l'aider, de le conseiller mais il ne m'écoutait pas et n'était plus que l'ombre de lui-même. Je lui avais proposé de se rendre en Amérique pour le faire voyager et l'habituer à organiser de longues traversées. Tout se déroula très bien, naviguer le ranimait et lui rendait une part de lui-même. Seulement...

Mon conteur se gratta la barbe et me jeta un coup d'œil avant de continuer :

—Seulement, arrivés à Québec, il redevint morose. Sa nouvelle passion était de rester toute la journée dans les tavernes. Et comme dans toutes les grandes villes, il y avait des brigands. Certains essayèrent de manipuler James alors qu'il en était à sa sixième bouteille...

—Bon sang, mais que faisiez-vous ? m'emportai-je. Vous le laissiez se détruire sans rien dire ?

—James avait beau être jeune, Rosélia, il n'en restait pas moins mon capitaine. Lorsqu'il m'ordonnait de le laisser, je devais lui obéir...

—Ah oui ? Et s'il vous avait demandé de le jeter par-dessus bord, vous l'auriez fait ?

—Je sais bien que cela vous révolte mais c'est ainsi... Il n'était plus un enfant... Je ne savais pas quoi faire...

Voyant qu'il culpabilisait, je soupirai et posai ma main sur son épaule :

—D'accord, le rassurai-je, d'accord. Continuez...

Il hocha la tête et me sourit tristement avant de poursuivre :

—Donc, comme vous pouvez le comprendre, il n'avait plus toute sa tête et les brigands l'emmenèrent avec eux. Ils lui mirent d'étranges idées dans la tête, profitant de son deuil pour l'enrôler. Ils lui dirent qu'il pourrait devenir riche grâce à eux et qu'il n'aurait plus rien à craindre. James pensa alors pouvoir se venger, enfin. Il pensa à toutes les souffrances que nous avions endurées, à nos pertes, à nos vies gâchées...Alors, il accepta ce qu'ils lui proposèrent ?

Je ne pouvais m'empêcher, au fil du récit, de trembler à l'idée de ce que les brigands avaient bien pu faire à James. Ou de ce que James, désemparé, avait bien pu faire...

—James était revenu le lendemain pour nous parler d'une affaire qui nous permettrait de nous sortir de cette vie de pirates. Cette fameuse affaire consistait à attaquer un navire marchand, à le piller et à rapporter les gains aux brigands. Nous devions en recevoir un quart en échange. Bien que nous désirions plus que tout vivre mieux, mes camarades et moi refusâmes.

Je vis que tous relevaient la tête, fiers, comme pour me le prouver. Je hochai lentement la tête et invitai Ben à poursuivre :

—Il nous regarda comme jamais il ne nous avait regardés. Un regard de déception et de solitude... Et il partit sans un mot. Nous le gardâmes en vue plusieurs jours avant qu'il ne disparaisse un soir... Ayant cru à une embuscade, avec une dizaine de compagnons, nous nous rendîmes au repère des brigands que nous surveillions. Hélas, ils ne l'avaient pas revu depuis qu'ils lui avaient proposé l'affaire. Nous voulûmes repartir mais ils se saisirent de nous et nous firent prisonniers, trop peu nombreux pour s'échapper face à toute une bande de voleurs. Ils n'avaient pas apprécié la lâcheté de James et l'attendaient de pied ferme. « Lorsque James finit par retourner au navire, les hommes restés à bord lui expliquèrent que nous étions partis le chercher. Alors, accompagné d'une vingtaine d'hommes, James se rendit au repère (non sans avoir quelques idées derrière la tête). Arrivés dans les quartiers reculés du port, James conduisit son escorte vers la taverne où se terraient les brigands. Mais au lieu d'y entrer, il se dirigea vers l'entrepôt qui recevait toutes leurs nouvelles marchandises. Etant donné que la plupart de ces truands se trouvaient à l'intérieur pour nous rire au nez et surveiller l'arrivée de notre capitaine, seulement cinq hommes gardaient les biens volés. James et les compagnons parvinrent à les maîtriser rapidement et à mettre à exécution leur plan.

Prise par l'histoire, je m'assis et posai les coudes sur la table. « Décidément, pensai-je, ces pirates ont un véritable don pour conter les histoires ! ».

—Alors, poursuivait toujours Ben, ils entrèrent le repère. Les brigands pointèrent aussitôt leurs armes vers eux. James expliqua au chef qu'il avait accompli sa mission et désirait qu'il libérât ses hommes. Surpris, le chef suivit James à l'entrée de son cabaret où les attendait une vieille carriole, remplie à ras bord de marchandises. Le chef nous libéra et laissa à James la carriole avec, comme convenu, le quart du butin.

Lorsque Ben eut fini, je pris un instant pour être certaine d'avoir tout compris. Plus je me remémorais le récit, plus James devenait un véritable génie à mes yeux. J'aurais sûrement dû être surprise et interloquée par tant de malice... Mais non, j'étais fière et même amusée par ce plan si tordu et malin. Réussir à voler le butin d'un bandit pour lui redonner en lui faisant croire que ce sont de nouvelles marchandises pillées... Mais encore, réussir à ce que ce chef lui donne le quart de ses biens sans le savoir... J'étais absolument ébahie !

Visiblement gêné et peu sûr de ma réaction, Ben se triturait les mains en prenant soin d'éviter mon regard. Je revins à mes esprits, chassant mon admiration et me concentrant sur les faits.

—Eh bien ! soufflai-je. Je suppose que ces brigands constituaient une importante bande pour que James doive éviter de retourner en Nouvelle-France...

La réaction de Ben était très légitime. Il était hors de question de mettre James en danger et de nous retrouver avec des truands à nos trousses.

—Nous trouverons une solution, déclarai-je confiante. Après tout, ne dit-on pas que chaque problème à une solution ?

Le second releva la tête et acquiesça doucement.

—Je vous remercie de m'en avoir parlé. Vous pouvez vraiment être fiers de vous et de votre capitaine. Même s'il a commis des erreurs, il a su se montrer digne et rusé, et vous n'avez pas à en avoir honte. Je comprends que vous ayez voulu me cacher les fautes du passé, mais je n'ai pas à vous juger. N'oubliez pas qui vous êtes, des pirates ! Certes, les pirates pillent, volent, mais ils ne sont pas que ça ! Et vous en êtes le parfait exemple. James a fait de son mieux pour vous offrir une vie plus libre et je n'ai pas le droit de vous en blâmer. Au contraire, je suis fière de vous connaître et de partager ces instants avec vous.

Leurs yeux scintillaient de joie et les sourires réchauffaient la pièce tant ils étaient nombreux et sincères.

—Merci à vous de nous écouter et de nous comprendre, sans nous juger ou sans être choquée par nos actes, déclara une voix grave depuis l'entrée.

Le Temps d'un Souhait - Première PartieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant