Chapitre 12 : Le dîner

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Lorsque la porte fut ouverte, une odeur de renfermé s'en dégagea accompagnée de poussières qui vinrent me chatouiller les narines, ce qui eut pour effet de me faire éternuer devant le capitaine qui me sourit en retour. En entrant dans ma nouvelle cabine, le pirate alluma des chandeliers à l'aide d'une lanterne qu'il avait emporté avec lui. Je pus désormais contempler cette pièce sombre et poussiéreuse. Face à la porte se trouvait un lit très simple -au bois tout aussi délabré que tous les meubles du navire- aux côtés duquel deux petites tables de chevet, sur lesquelles reposait un chandelier, étaient disposées. Un hublot semblait vouloir redonner de la clarté à cette chambre mais les rayons lumineux ne parvenaient à percer la poussière et la saleté accumulées sur le vitrage au fil du temps. Contre le mur opposé au triste hublot, se trouvait une commode tout aussi simple que le reste de cette humble cabine. Cela ne me dérangea pas car bien que j'eusse habité pendant presque six longs mois un appartement luxueux, je ne m'étais toujours pas accommodée à ce style de vie : je ne m'y sentais pas à ma place. Cette cabine me suffisait amplement, elle me ressemblait : simple mais pleine de caractère. Je n'en avais pas parlé à ma mère de peur de lui faire de la peine, elle qui voulait se racheter mais, tout ce luxe, rien que pour moi, commençait légèrement à m'étouffer ; ici je respirais beaucoup mieux. Bien sûr, je dis cela au figuré car avec toute cette poussière, on ne peut pas vraiment dire que nos poumons étaient réoxygénés... Sur cette commode étaient posées une carafe et une cuve pour pouvoir se rincer le visage. Une plume et un encrier dans lequel l'encre avait séché ainsi que du papier avaient été mis à disposition agrémentés d'un autre candélabre.

James posa mes nouveaux vêtements sur le lit et sortit de l'un des tiroirs de la commode des draps à peu près propres. Ensuite, il s'empara de la carafe et me déclara qu'il allait me la remplir pour que je puisse me faire un brin de toilette. Une fois qu'il fut sorti, je fis mon lit et m'assis dessus en attendant son retour. Quelques instants plus tard, on toqua à la porte et je vins l'ouvrir en découvrant James avec la carafe remplie d'eau fraîche et d'une serviette.

—Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas, vous êtes notre hôte, m'informa-t-il.

Je le remerciai timidement et allai refermer la porte lorsqu'il me proposa d'aller dîner avec lui quand je serai reposée pour que nous reparlions de notre histoire et que je puisse lui poser toutes les questions qui me rongeaient. J'acceptai sa proposition en lui adressant un petit sourire et refermai la porte.

Une fois seule et certaine que plus personne ne viendrait me déranger, je m'affalai sur le lit à l'odeur vieillie des draps et m'endormis aussitôt. Mon rêve fut peuplé des avertissements d'Annie, des lettres du capitaine Georges Lerabougri et du coffret qui tournoyait autour de moi. Je me trouvais seule dans les ténèbres lorsque je revis la lumière éblouissante du puits sans fin. Soudain, le visage de James Rosso apparut et je tombai sur le parquet usé du navire où se tenait les bottes noires et cirées du capitaine qui me tendait sa main. Alors, mes yeux se levèrent vers lui et mon regard rencontra le sien. Ce fut à ce moment que je me réveillai, très perturbée par mon étrange rêve. Je décidai de le chasser de mon esprit en me souvenant que le capitaine m'attendait pour dîner. J'enfilai la chemise qui flottait sur moi et m'arrivait jusqu'aux bas des cuisses. Ensuite, je la rentrai dans le pantalon tout aussi flottant. Je me passai la ceinture autour de moi en remerciant silencieusement James de l'avoir prise : elle me permit de ne pas ressembler de trop à un pantin. J'enfilai les magnifiques bottes dans lesquelles je rentrai le bas puisqu'elles montaient jusqu'au haut de mes genoux. Le plus étrange était qu'elles me maintenaient parfaitement bien les pieds. Enfin, je passai la redingote sur moi et me contemplai dans un miroir moucheté par des tâches noires, accroché au-dessus de la commode. J'étais à présent une véritable pirate et je me mis à penser que si la petite Rosélia que je fus, m'eut vu ou eut su ce qui allait m'arriver et donc lui arriver, peut-être que j'aurais été plus confiante et moins timide. Mais comme disait toujours ma mère : « Ce qui nous est arrivé dans le passé, fait de nous, ce que nous sommes à présent ».

Et elle avait raison parce que tout le mal que m'avait fait les autres enfants, m'avait rendue plus forte et ce fut cette femme sûre d'elle, compatissante du malheur des autres mais quelque peu poussiéreuse qui se trouvait devant le miroir. Je me rinçai donc le visage et arrangeai du mieux que je pus mes longs cheveux ondulés et sortis sur le pont supérieur. En haut de l'échelle m'attendait James qui avait revêtu une redingote bleue marine brodée de fils d'argent usés. Il me sourit et m'indiqua de le suivre. Le soleil s'était couché laissant place à la lune étincelante et aux étoiles miroitantes sur la mer qui ondulait délicatement sous le roulis des vagues. Le vent frais faisait virevolter mes cheveux et la douce odeur iodée vint titiller mes narines. Je me sentis à ma place dans ce monde qui malheureusement n'était pas le mien, et qu'il faudrait un jour quitter. Je me repris ; je ne devais pas devenir mélancolique, je devais vivre mon rêve de toutes mes forces. Je rejoignis James qui attendait devant une porte vitrée derrière laquelle se reflétait des lumières. Cette porte se situait sur la gauche de celle de la cabine du capitaine. Ces deux pièces constituaient toute la partie de la dunette au-dessus de laquelle se dressait la barre. James me conduisit dans la pièce éclairée où avait été dressée une longue table entourée d'une quantité surprenante de chaises.

—J'espère que le repas sera à votre goût, commença-t-il une main sur la nuque. Notre cuisinier est, selon mon humble avis, le meilleur parmi les autres cuisiniers-pirates.

—Oh je n'en doute pas, lui assurai-je essayant de lui redonner de l'assurance.

—Avez-vous réussi à vous reposer malgré la présence de mes hommes sur le pont ?

—Très bien, merci. Ils ne m'ont absolument pas dérangée puisque je me suis endormie...

-Oh fort bien...Vous devez avoir faim, venez, installez-vous...

Il me présenta une chaise sur laquelle je m'assis. Après quoi, il la poussa vers la table avec une galanterie qui me fit rougir et je le remerciai. Il prit place près de moi et me servit différents mets de la mer ainsi qu'un verre d'un excellent vin rouge, un peu iodé par sa longue traversée en mer. Tout en continuant de manger, je me décidai à engager la conversation :

—Au fait, où sont vos compagnons ? Il me semble que je ne les ai pas vu tout à l'heure.

—Ils sont sûrement dans la cale en train de jouer aux cartes et de fumer une pipe afin d'oublier leur passé et de s'occuper l'esprit.

—Je suis navrée de vous accaparer avec mes questions, mais je ne peux en parler qu'à vous, vous êtes le seul en qui j'ai pleinement confiance, non pas que vos hommes me paraissent suspects mais c'est plus facile pour moi de vous parler. Je ne sais pas pourquoi, mais je...

Il me coupa la parole en me prenant les mains et en déclarant :

—Inutile de vous justifier. Mes hommes savent très bien qu'un jour ils sauront tout et je ne veux pas non plus leur faire de faux espoir ou même leur parler de ces monstres...

Je lui souris et pour changer de sujet, je lui demandai si nous ne pourrions pas sortir prendre l'air. Il acquiesça et je pus lire de la gratitude dans son regard.

Le Temps d'un Souhait - Première PartieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant