Chapitre 32 : L'îles des Supplices

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—Regarde-les, admire mes braves sujets, me murmura Revenger en me tenant fermement les bras derrière le dos.

Tous livides et nonchalants, des centaines de cadavres vivants accomplissaient leurs tâches sans se soucier du monde environnant. Leur enveloppe charnelle se décomposait presque, laissant voir des squelettes et des morceaux de chair à vif. Ils étaient une centaine à grouiller tels des automates, exécutant les mêmes gestes à l'unisson, créant un orchestre de sons métalliques et de râles qui résonnaient autour de nous. Ils semblaient venir de différents horizons, arborant de vieilles guenilles de maréchal à des vêtements rapiécés de marins. Regard vide et morne, ils semblaient vouloir me dévisager, mais seuls des globes oculaires se tournaient vers moi, et je me demandais s'ils me voyaient vraiment, ou bien, s'ils n'étaient que des êtres sans vie, des corps abandonnés de toute vie... Toute cette carcasse ambulante était encadrée par des êtres ressemblant en tout point au second de Revenger. D'une musculature importante et de la même expression menaçante, ils poussaient, malmenaient leurs esclaves en ricanant lorsqu'ils se prenaient les pieds dans des cordages après. Sans se plaindre, le pauvre prisonnier retournait sans aucun trouble vers son poste abandonné. Choquée par leurs gestes, je voulus me libérer de m'emprise du monstre, mais celui-ci, très amusé apparemment, claqua des doigts en direction de son second qui patientait près de nous. Comme plongé dans des ténèbres auparavant, il releva la tête et reprit connaissance, interrogeant son maître. Celui-ci lui fit un signe de tête vers les dépouilles. Le second sourit et se tourna vers eux. Il prit l'un des leurs au hasard, et l'emmena devant nous en le maintenant, même si le prisonnier semblait ne se rendre compte de rien. Il restait immobile et attendait qu'on le replace pour bouger de nouveau, comme s'il était éteint. Revenger me lâcha et sortit un immense pistolet de sa redingote rouge. Un coup de feu retentit et je vis une balle trouer la charogne. Un trou fumant se forma, laissant voir les autres prisonniers derrière qui continuaient leurs besognes. Je poussai un cri et voulus secourir le pauvre homme, mais il ne fit aucun geste, aucune expression ne vint perturber son visage squelettique. Je paniquai de plus en plus et la vision du trou formé dans sa cage thoracique, sans qu'aucune goutte de sang et de chair ne dépasse, me fis pousser un hurlement strident qui fut bientôt rejoint par le rire machiavélique de Revenger. Et, alors que son second, sans avoir dit un seul mot, lui aussi robotisé, raccompagnait le cobaye à sa besogne, son capitaine me reprit et me traîna jusqu'à une chaloupe gardée par quatre armoires à glace. Il m'y jeta sans ménagement et s'écria, devant mes frissons incessants :

—Et encore ma belle, ce n'est qu'un amuse-bouche de ce qui t'attend avec ton doux et tendre. Mais, puisque tu n'as pas l'air encore tout à fait ébranlée, tu vas pouvoir payer ton insolence !

Je n'osai crier, à quoi cela aurait-il bien pu servir ? Je ne fis que me questionner sur sa machination pendant que la barque était tirée dans un rythme mécanique effarant. Nous ne fûmes ni secoués, ni balancés, tous les gestes des hommes de Revenger étaient mesurés et équilibrés. Lorsque nous fûmes à l'eau, je découvris le navire du monstre. Une frégate royale brillante et miroitante, tel un mirage, flottait dans un immense bassin à l'eau croupie. Des mouvements étranges et des bulles apparaissaient souvent à la surface, trop souvent même... S'étendant sur quelques kilomètres à la ronde, l'eau s'étirait jusqu'à d'immenses pitons rocheux qui sortaient de terre et nous encerclaient, imposants et mystérieux. Des pics acérés ressortaient hors de l'eau, certains apparaissant à peine, tandis que d'autres semblaient jaillir, s'étirant sur plusieurs mètres au-dessus de nous. Mais, le plus terrible fut lorsque je remarquai que, parmi ces pics, se trouvaient des centaines d'épaves s'entassaient ou se dispersaient un peu partout dans le bassin. Un brouillard blanc, opaque et étouffant, rendait au tout une atmosphère inquiétante. Alors que nous nous approchions d'une grève, je remarquai qu'aucun signe de vie n'était visible. Aucune végétation, aucune faune, ni insectes, ni charognards, ni plantes sauvages, rien, absolument rien. Juste un désert fait de roches noircies et de cendres qui s'étalaient sur le sol. La chaloupe toucha terre et Revenger s'empara de ma main. Le contact de sa chair glacée me fit frissonner horriblement et sa fraîcheur sembla atteindre mon cœur qui se glaça également. Il m'entraîna sur la grève mais, maladroite et tremblante, je me pris les pieds dans quelque chose. La puissance de la main de mon geôlier m'empêcha de tomber et pour une fois, j'en fus soulagée. Baissant la tête pour voir sur quoi j'avais failli m'étaler de tout mon long, je détournai presque aussitôt le regard, les nausées se faisant plus virulentes et la peur me secouant des pieds à la tête. Seulement, la perversité de Revenger s'empara de nouveau de lui et il força ma tête à se baisser pour regarder la chose. Des ossements gisaient là, s'étendant sur toute la grève par milliers. Certains parsemaient les abîmes du bassin et d'autres flottaient à sa surface.

Le Temps d'un Souhait - Première PartieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant