Chapitre 22 - Jouer un rôle

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— Atchoum !

— A vos souhaits Daniel, répéta pour la cinquième fois le colonel tout en nouant les lacets de ses rangers.

— Désolé, je suis malade.

— Et c'est pour ça que vous resterez ici.

— Pas question. Je viens avec Amanda, protesta le jeune docteur.

— Elle ne vient pas non plus.

— Comment ça, je ne viens pas ? s'indigna la jeune femme en terminant de dissimuler ses cheveux sous une casquette. C'est moi qui suis capable d'entrer dans l'ordinateur sans me faire détecter. Je connais tous les codes d'accès. Si tu y vas seul tu te feras arrêter, ou alors tu rentreras bredouille.

Le colonel soupira. Il observa Amanda, séduisante dans la trop grande tenue militaire qu'il lui avait prêtée. Elle avait caché ses cheveux sous la casquette et portait les lunettes de vue de son époux, mais l'artifice n'aurait trompé personne.

— On ne me reconnaîtra pas comme ça, affirma-t-elle.

Jonathan ne la contredit pas, il ne voulait pas la vexer.

— Colonel, commença Daniel. Vous avez de l'argent sur vous ?

— Euh... Pour quoi faire ? se méfia-t-il.

— Des achats de carnaval.

Le jeune homme avait une idée bien précise derrière la tête. Ils allaient tous les trois tenter de pénétrer dans la base sous une autre identité. De cette manière, le colonel pourrait dérober les dossiers nécessaires à la survie de Lisa ainsi qu'à la sienne. Pendant ce temps, Daniel entraînerait son épouse dans leur ancienne chambre pour récupérer la confortable somme d'argent qui leur avait été offerte lors de leur intégration à la base et qu'il avait mise à l'abri sous le matelas du lit. Avec ces quelques milliers en poche, il pourrait fuir avec Amanda dans un autre pays et couler des jours heureux.

Ils se rendirent dans les magasins de vêtements du centre ville et tentèrent de passer inaperçus. Mais trois militaires paranoïaques qui examinent les passants d'un air inquiet sont tout sauf discrets. Une demi-heure plus tard, Amanda portait un tailleur bleu foncé identique à ceux des chercheurs de la base. Un chignon maintenait tous ses cheveux à l'arrière du crâne et elle portait toujours les lunettes de son mari. D'ailleurs, elle ne pouvait pas marcher sans assistance car elle voyait extrêmement flou, et elle préféra porter les cercles de verre sur le bout du nez afin de pouvoir regarder par-dessus.

De son côté, Daniel ne voyait lui non plus pas très loin sans ses lunettes. C'était un duo plutôt comique. Le jeune homme, vêtu lui aussi à la manière des scientifiques de la base, était méconnaissable avec une perruque noire, une barbe et une moustache. Jonathan n'avait quant à lui pas besoin de se déguiser, la nouvelle de son changement de camp n'avait pas encore pénétré à l'intérieur des murs de la base. Il ne restait maintenant plus qu'à savoir si le piège allait fonctionner.


* * * * * *


Les yeux morts de Marc fixaient le plafond gris sur lequel quelques araignées tissaient consciencieusement leur toile. Son visage immobile serait à jamais gravé dans la mémoire de Lisa. Elle recula comme si elle espérait pouvoir se fondre dans le mur, ne rien voir, ne rien entendre, ne rien sentir et par-dessus tout retrouver ce cœur de pierre qui avait auparavant été le sien.

L'Italien s'approcha du cadavre qui dégageait les premiers relents d'un corps sans vie. Il ôta le couteau qu'il portait à la ceinture et le planta d'un geste vif dans l'estomac du mort comme on aurait piqué une lame dans un steak. Il se frotta les mains tout en avançant vers la jeune femme, un sourire sournois aux lèvres :

— A nous deux, chérie.

Lisa ravala sa salive. La boule dans sa gorge semblait disparaître petit à petit. Jonathan était hors de son esprit et elle reprenait confiance en elle. Elle gonfla la poitrine, leva la tête puis lui lança un regard séducteur agrémenté d'un sourire pas très innocent. Elle l'enlaça, se frotta de manière féline contre lui. L'ancienne Lisa avait survécu à l'amour et refaisait surface, mais son objectif était cette fois tout autre.

— Marchello, susurra-t-elle en insistant sur la seconde syllabe. Tu veux de moi ?

— Et comment, ma poule !

— Je veux dire... pour toujours ?

Il fut extrêmement surpris par le comportement contradictoire de la jeune femme. Cela sentait le piège à plein nez :

— C'est quoi l'arnaque ?

— Si tu réponds oui tu m'auras sur le dos pour le restant de tes jours, expliqua-t-elle en jouant nonchalamment avec les mèches bouclées qui s'entremêlaient sur le front de l'homme.

— J'te veux juste dans mon lit chérie, pas t'mettre la bague au doigt.

— Ça me va. On commence dès ce soir. C'est moi qui fixe les règles.

Profitant du trouble de Marchello, Lisa s'éloigna en direction du corps inanimé du malheureux qui avait sans doute été le seul homme à éprouver de réels sentiments amoureux envers elle. Mais elle ignorait cela, elle s'en fichait royalement. Seul Jonathan lui importait. Tout aurait été pour le mieux si cet amour-là avait été réciproque, mais ce n'était apparemment pas le cas. Le colonel s'était retrouvé dans le même lit qu'elle pour l'unique raison qu'Amanda le rejetait. Il avait tenté de se cacher la vérité en aimant une autre femme mais il n'était parvenu qu'à se rendre plus malheureux encore. Son corps était dépendant de Lisa tandis que son esprit désirait Amanda, le dilemme était cornélien.

Marchello remonta son pantalon trop grand, trop vieux, trop sale. Il renifla en se frottant le nez et en fronçant les sourcils. C'était sa manière de se concentrer. Non, décidément il ne voyait pas d'entourloupe. Elle avait tout simplement succombé à son charme méditerranéen. Après tout, il devait bien exister des femmes sensibles à l'allure d'un croque-mort doublé d'un brigand. Il était flatté et en oublia même la raison pour laquelle il était initialement venu.

— Ce sera un peu comme une nuit de noces, insista la jeune femme pour qu'il s'en aille.

Il acquiesça pensivement de la tête puis quitta la cellule, n'ayant pas encore tout à fait compris ce qui se passait. Lisa avait gagné quelques heures de répit.



A Double Tranchant (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant