Chapitre 29 - Dans le noir

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Le docteur Annette Foreman quitta sa chambre dans la plus grande discrétion. Le bruit courait dans le complexe militaire que les traîtres avaient été capturés la nuit dernière et elle se devait de découvrir ce qui se passait réellement. Oui, mais c'était peut-être sa dernière chance de fuir la base. Pour l'instant, personne ne la soupçonnait d'avoir aidé les voleurs. Le général avait à priori cru la femme sur parole lorsqu'elle lui avait confié que le colonel Filips l'avait menacée puis démunie de sa carte d'accès. Une chance qu'elle se soit foulée le poignet le jour même en glissant sur le sol fraîchement nettoyé de son bureau, ça avait participé à rendre son mensonge crédible. Elle avait longuement hésité, s'enfuir ou s'assurer que ses amis n'étaient pas captifs ? Elle avait finalement opté pour la seconde option. Peut-être pourrait-elle à nouveau aider le colonel et son équipe, faire enfin quelque chose de bien dans sa vie, effacer l'erreur qu'elle avait commise en venant partager ses connaissances avec cette fichue base corrompue de toutes parts.

Annette examina les alentours, personne en vue, puis elle poussa lentement la porte dont l'accès était exclusivement réservé au général Bellhaie et à quelques privilégiés. Un escalier s'enfonçait dans les ténèbres. Il y avait donc un vingt-neuvième étage souterrain ignoré de tous, peut-être même un trentième, un trente et unième... Qui savait quelle monstruosité le général dissimulait avec tant d'acharnement ? Annette le découvrirait sous peu. Sa curiosité dévorante prit le dessus sur la peur qui montait en elle.

Un pas. Le bruit de son talon sur la marche métallique. Elle s'immobilisa. Mieux valait retirer ses chaussures et continuer pieds nus. Un deuxième pas. Trois. Quatre...

Peu à peu, l'escalier en spirale s'éclaircissait mais toujours pas de sol en vue. Annette ne distinguait plus la porte par laquelle elle était arrivée. Seuls l'obscurité et le vide l'enveloppaient de leur immensité. Et puis il y avait aussi cette sensation, semblable à celle que l'on éprouve en voulant se faire peur dans les maisons hantées des parcs d'attraction ou en regardant des films d'épouvante un soir d'orage. Le frisson de l'aventure, l'excitation de la découverte, l'angoisse de l'inconnu. La femme s'enfonçait toujours plus profondément dans les entrailles de la Terre, une descente aux enfers.

Était-ce une lumière, là-bas, au fond ? Une lueur si faible qu'on la distinguait à peine. Il y avait des voix. Des voix lointaines, irréelles. Annette posa enfin le pied sur le sol de béton frais. Au ralenti, elle se baissa pour déposer ses chaussures après la première marche d'escalier. Elle avait diminué le rythme de sa respiration, calme, posée, presque inaudible d'elle-même.

Tout à coup, une lumière s'alluma vingt mètres plus haut, suivie d'une seconde, plus bas. Deux paires de jambes dévalèrent l'escalier en toute hâte dans un bruit métallique qui résonnait bruyamment. La femme ne pouvait ni monter, ni se diriger vers la lueur au fond du couloir. Elle s'abrita rapidement sous les marches de l'escalier en colimaçon, tête baissée, yeux et poings fermés. Elle priait pour que les deux personnes n'aient pas l'idée stupide de regarder entre les grilles qui constituaient les marches.

Les pas se firent plus lourds, plus proches. Deux gros rires graves retentirent. Elle les reconnut immédiatement : le général Bellhaie et celui qu'il chargeait de faire le sale boulot à sa place, le sergent Davis qui ne devait son grade qu'à ses flatteries perpétuelles. La femme resserra la mâchoire. Le béton sur lequel elle s'était agenouillée meurtrissait ses pauvres genoux. Quand ce calvaire allait-il cesser ? Il lui semblait que tout un siècle s'était écoulé depuis qu'elle avait pris place sous l'escalier.

Cette fois, c'était le moment de vérité. Les deux hommes passèrent au-dessus d'Annette... sans la voir. Davis éteignit la lumière puis s'éloigna en compagnie du général en direction de la lueur lointaine. Lorsqu'ils disparurent dans l'obscurité, elle recracha enfin tout l'air de ses poumons. Elle avait malgré elle retenu sa respiration et était à présent à bout de souffle. Elle se leva puis jeta un dernier coup d'œil vers la sortie qu'elle devinait dans la nuit. Si elle faisait demi-tour maintenant elle avait peut-être une chance de s'en tirer. Mais non, elle ne pouvait pas partir sans être certaine que ses amis soient hors de danger. Et elle en avait déjà trop vu, impossible d'abandonner ce mystère plus attrayant à chaque seconde.

A Double Tranchant (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant