Chapitre 47 - Avouer

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Jonathan et le général se retrouvaient à présent seuls. Tous les soldats avaient eu l'ordre de se retirer. Le premier disciple de Seth s'installa derrière son bureau et se mit à fouiller dans la paperasse. Il trouva finalement le document désiré :

— Vous venez de gagner un voyage pour la capitale, un aller sans retour.

Ne comprenant pas de quoi il s'agissait, Jonathan resta silencieux.

— Dans moins de trois semaines aura lieu la réunion annuelle des Enfants de Seth. La cérémonie se déroulera à Paris cette fois. Mais ce sera la dernière car je compte faire exploser Judas-316 après le sacrifice. Les infidèles seront noyés dans leur propre sang et seuls les Enfants de Seth survivront.

— Vous êtes fou.

— Je suis clairvoyant.

Le général alla ouvrir une armoire pleine d'alcools divers et se servit un Martini. Il retourna ensuite s'asseoir en sirotant paisiblement. Après quelques instants de silence, il posa son verre vide puis se leva à nouveau en direction du poste de radio. Bientôt, une douce musique orchestrale envahit la pièce.

— Où est Lisa ? demanda le général, brisant enfin le mutisme pesant.

— Je ne sais pas.

— Elle s'est enfuie avec vous. Où est-elle ?

— Partie. Loin, très loin. Vous ne la retrouverez jamais là où elle se trouve à présent.

— Je répète, avertit le disciple de Seth en relevant le menton du colonel de la pointe d'un ouvre lettre. Où est mademoiselle Milton ?

— Qu'est-ce que ça peut vous faire ? Espèce de vieux cinglé.

— Mais elle est l'épouse désignée de Seth. Il faut qu'elle lui soit sacrifiée, qu'elle joue le rôle d'intermédiaire entre ciel et terre. Sans cela, la puissance de Seth ne pourra couvrir de son voile divin la terre des hommes.

— Désolé de vous l'annoncer mais vos projets tombent à l'eau.

— Où est cette petite traînée ?! explosa le général en saisissant Jonathan à la gorge.

— Allez vous faire voir, murmura le colonel avec véhémence.

Exaspéré, le premier disciple de Seth poussa un cri et frappa l'effronté. Les mains attachées dans le dos, Jonathan s'écroula sur le sol et gémit à cause de la douleur provoquée par la balle qui avait récemment traversé sa jambe. Lorsque le général Bellhaie remarqua la tache de sang sur la moquette, il s'accroupit auprès du blessé, posa la main sur la blessure et se mit à serrer. Son pouce s'enfonça de plus en plus dans la jambe du malheureux. Jonathan hurla, geignit, se débattit. La souffrance était insoutenable. Les larmes lui vinrent aux yeux et il ne les empêcha pas de rouler le long de ses joues. Il ne voulait pas trahir Lisa, pas encore une fois, il ne voulait pas admettre qu'elle...

— Elle est morte ! avoua-t-il en sanglotant.

Il tourna le visage contre le sol, honteux et désireux de disparaître sous la moquette. Le général Bellhaie ricana en ébouriffant les cheveux de son prisonnier. L'influent et respecté colonel ne s'était jamais senti aussi lâche et ridicule. Tout son corps était pris de tremblements nerveux. Les larmes humides, la chaleur, la poussière, la dureté du sol, le manque d'air. Et puis ce rire, cet affreux rire si désagréable à l'oreille.

— Pauvre petit chou, se moqua le général d'une voix qui laissait comprendre qu'il ne le croyait pas. Vous ne vous déciderez donc pas à me dire la vérité, un dur à cuire, hein ?

L'homme s'en retourna à ses bouteilles d'alcool. Il remplit un verre d'eau de vie puis, le dos tourné au colonel, y ajouta le contenu d'une petite fiole. Il vint s'accroupir à côté du blessé toujours plaqué au sol, incapable de mettre fin aux sanglots, cherchant désespérément à reprendre le contrôle de sa respiration difficile et trop rapide. Le général l'attrapa par la mâchoire et le força à ouvrir la bouche. Bien qu'il se débattît autant que le lui permettait sa condition, Jonathan sentit bientôt l'alcool couler dans sa gorge. On dénotait un arrière-goût acide et peu plaisant, irritant pour la gorge, et les murs se mirent bientôt à tourner. La large silhouette qui retournait s'asseoir à son bureau s'était dédoublée. Le bruit de la respiration du colonel s'était intensifié et il avait l'impression d'entendre de l'eau couler dans ses oreilles. A genoux sur la moquette, il perdit l'équilibre et se retrouva à nouveau allongé par terre. Bientôt, la voix du général Bellhaie retentit comme un écho.

— Maintenant parlez-moi, mon ami, commença-t-il, les mains jointes. Dites-moi où est le docteur Lisa Milton. Vous pourrez aller vous reposer ensuite. Dites-moi où elle est. Ayez confiance en moi. Où est-elle ? Où est Lisa ?

— Je... Je l'ai tuée, avoua Jonathan, un sourire absent sur les lèvres.

Il n'était plus conscient de ce qu'il faisait ou disait. Seule une sensation de flottement subsistait. Tout allait bien, hormis cette voix qui refusait de se taire et qui lui martelait le crâne. Elle répétait les mêmes mots, inlassablement, comme si une dizaine de grottes renvoyaient leurs échos en même temps. « Où, où, où, où est, où est, est, est Lisa, Lisa, Lisa, où... »

— Tuée ? répéta le général, les yeux exorbités. Non, ça c'est le mensonge que vous m'avez raconté tout à l'heure. Ça ne peut pas être vrai. Vous avez sans doute suivi un entraînement militaire contre les lavages de cerveaux et les drogues, mais vous ne pouvez pas être résistant à ce point.

— Le couteau... Le poignard, elle est morte. Partie, finie.

Le général se dressa en renversant sa chaise :

— Il n'y a aucune raison qui justifie que vous ayez commis ce meurtre ! Dites-moi la vérité !

— Accident.

Le rouge monta aux joues du premier disciple de Seth. Il crispa la mâchoire et se força à respirer lentement. Malgré tout, il ne put garder son calme. Un premier coup de pied fit rouler Jonathan sur le dos, un second l'envoya se heurter à l'armoire renfermant les boissons alcoolisées, et un dernier fit tant basculer le meuble que toutes les bouteilles se brisèrent sur le dos de la victime maltraitée. Les pensées du colonel sombrèrent ensuite dans un immense abîme, ne percevant plus que faiblement les jérémiades de Sethesh.

Comment apaiser la fureur de Seth à présent que l'élue était décédée ?


* * *


Annette et Frank avaient les mains menottées autour d'un tuyau lorsque la porte de la cave s'ouvrit. Un soldat fit entrer Daniel et Amanda, eux aussi menottés, puis les attacha non loin des autres captifs. On avait retiré au couple Siler les toges d'initiés pour leur rendre leurs vieux vêtements militaires usés jusqu'à la corde. Le soldat les abandonna là puis revint une nouvelle fois en traînant Jonathan, inconscient, par les pieds.

Lorsque le colonel se réveilla quelques minutes plus tard il était lui aussi attaché à une barre de fer. Un garde armé surveillait la porte de l'intérieur. Les araignées tissaient leur toile à divers endroits. Des gouttes d'eau fuyaient depuis un tuyau. Au moins il y avait de la lumière et pas le moindre corps en décomposition dans les parages.



A Double Tranchant (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant