Une demi-heure plus tard, on frappa à la porte. La belle alla ouvrir en arborant un sourire éclatant. Ses yeux pétillaient de malice. Très galant, le colonel lui baisa la main en s'inclinant poliment. Au contact des lèvres délicates de l'homme sur sa peau, Lisa dut se mordre la langue pour ne pas se jeter sur lui immédiatement.
— Vous êtes resplendissante, complimenta-t-il.
Elle lui rendit son sourire puis, s'accrochant à son bras, le suivit dans l'ascenseur. Lorsque les portes de l'engin se furent refermées, elle se pencha vers le panneau de commande en effleurant délibérément la poitrine du colonel. Il n'eut aucune réaction visible mais elle savait que les militaires étaient réputés pour leur aptitude à dissimuler leurs émotions. De toute façon, elle ne renoncerait pas à lui, peu importe la complexité du défi. Aucun homme ne lui avait jamais résisté et ce n'était pas maintenant que les choses allaient changer.
Ils se rendirent au restaurant Le Faisan, le plus chic de la ville. D'une galanterie impeccable, le colonel Filips ouvrit la portière à son invitée, lui tint la porte d'entrée de l'établissement et tira sa chaise. La discussion resta extrêmement conventionnelle tout au long du dîner jusqu'au moment où, à l'arrivée des desserts, Jonathan s'agrippa à sa fourchette en prenant un air à la fois grave et austère :
— Docteur Milton, venons-en au fait.
— Je vous écoute, approuva-t-elle en retirant délicatement une de ses chaussures sous la table.
— Notre dernier directeur des recherches... est mort, confessa le colonel avec embarras. Vous devez savoir que le docteur Noldman est décédé suite à une impitoyable séance de torture.
La jeune femme percevait les mots mais n'en saisissait pas réellement le sens. Elle avait l'esprit ailleurs. Son pied jouait nonchalamment avec sa chaussure en la faisant tournoyer sur la moquette. Lentement, elle étendit la jambe et frôla celle de son voisin. Elle prit un malin plaisir à voir la confusion du militaire alors qu'elle lui caressait le mollet. Il ne réagit pas tout de suite, trop désarçonné pour cela, mais les circonstances le gênaient terriblement.
— Vous me faites du pied, observa-t-il d'un air candide et égaré.
Constatation stupide qu'il regretta instantanément d'avoir formulée.
— Oh pardonnez-moi, s'excusa-t-elle avec un flegme déconcertant tout en retirant sa jambe à contrecœur. Je pensais que c'était le pied de la table.
Il n'était pas dupe mais le colonel poursuivit malgré tout ses explications, un tantinet plus mal à l'aise que tout à l'heure. Il ignorait si c'était la faute de ce qu'il avait à révéler ou bien celle de la splendide jeune femme au regard de braise qui le tourmentait.
— La base est tenue secrète, même le gouvernement n'est pas au courant de son existence. Elle n'est pas officiellement rattachée à l'armée et exerce ses activités dans l'ombre pour avoir une plus grande marge de manœuvre. Si vous acceptez le poste que nous vous proposons, eh bien, navré de vous le dire mais c'est à vos risques et périls.
— Je ne crains pas le danger. J'aime prendre des risques. Pas vous ? demanda-t-elle en léchant de manière licencieuse la glace qui avait coulé sur ses doigts.
— Euh, tout dépend de, enfin, de quel type de danger, bégaya l'homme.
— Moi je pense plutôt que tout dépend... avec qui on se met en danger.
Jonathan déglutit, s'agrippa à sa serviette en tissu et respira profondément pour calmer les battements de son cœur. Il parvint difficilement à reprendre sur lui mais persévéra tout de même dans son exposition de la situation :
— L'année dernière, un espion a fait fuiter le nom du directeur des recherches. Un soir, ils l'ont kidnappé et torturé à mort. Nous avons retrouvé son corps en charpie en pleine forêt. Mais nous pensons que le docteur Noldman n'a rien révélé de compromettant.
— Que faisons-nous après le repas ? Jo-na-than.
L'homme ne tint pas compte de cette remarque en total décalage, ni de l'étrange façon dont la jeune femme avait prononcé son nom, en articulant soigneusement, syllabe après syllabe.
— Docteur Milton, nous...
— Appelez-moi Lisa, c'est plus chaleureux.
— Chaleureux, oui... Euh, je disais donc que nous veillerons à ce que votre identité reste secrète. De cette manière vous pourrez continuer à mener une vie normale.
La belle sourit à l'idée d'une existence normale. Qu'était-ce donc ? Sa vie n'avait rien d'ordinaire, elle ne l'avait jamais été et elle ne le serait probablement jamais. Sans en avoir conscience, sa main glissa sur la nappe pour rejoindre celle du militaire fiévreux. Perturbé, il appela un serveur au secours et demanda l'addition car il avait besoin de ses deux mains pour ouvrir son portefeuille.
Après avoir laissé un pourboire au serveur, il se redressa :
— Bien, je vous raccompagne chez vous ?
Elle n'attendait que ça.
* * *
Alors que la voiture progressait tranquillement dans les rues sombres de la ville, Lisa ne supporta soudain plus l'atmosphère étouffante et le silence plein de gêne qui régnait dans l'habitacle. Elle interrogea Jonathan sur la première chose qui lui passa par la tête, même si c'était ce dont elle se souciait le moins du monde à cet instant précis :
— Qu'y a-t-il exactement dans cette base pour que tout soit tenu aussi secret ?
— Certaines personnes travaillent à l'élaboration d'armements chimiques, biologiques, nucléaires, et cetera. Et puis il y a ceux qui testent le matériel et assurent la sécurité, comme moi par exemple. En bref, des tas de projets qui, s'ils tombaient entre de mauvaises mains, mettraient la population en danger.
— Je suis affectée au service biologique, j'imagine ? Vous ne l'avez pas précisé.
— Oui en effet, confirma l'homme.
Lisa laissa tomber le bracelet qu'elle faisait négligemment rouler entre ses doigts aux pieds du conducteur. Elle se pencha vers lui et fit glisser sa main le long de la jambe du malheureux militaire en sueur. Elle tâtonna le sol pendant quelques minutes avant de se rasseoir à sa place avec le bijou qu'elle avait pourtant retrouvé dès la première seconde. Surveillant sa proie du coin de l'œil, elle s'étira avec grâce.
Le véhicule arriva enfin à destination. Sans lâcher le volant ni quitter la route des yeux, comme s'il avait peur de se laisser distraire, Jonathan la salua sèchement :
— Au revoir. Le général Bellhaie vous recontactera demain.
— Vous partez déjà ? Sans me raccompagner jusqu'à ma chambre ? Ni même prendre un dernier verre en ma compagnie ?
— J'ai des choses à faire, objecta-t-il.
Les magnifiques yeux marrons de Lisa s'orientèrent vers la main gauche de Jonathan. Pas d'alliance à l'annulaire. Qu'est-ce qui pouvait bien l'empêcher de se laisser tenter ? Debout sur le trottoir, elle se pencha à l'intérieur de la voiture pour mettre en valeur son décolleté captivant :
— Il est bientôt vingt-trois heures. Et si je me faisais attaquer par des voyous ?
— L'hôtel est à deux mètres derrière vous, rétorqua-t-il froidement.
L'homme démarra précipitamment et s'enfonça dans l'obscurité de la nuit, laissant Lisa seule sur le trottoir, perplexe. Elle n'avait même pas eu le temps de réagir et elle ne s'était de surcroît jamais retrouvée dans une telle situation. Toutefois, un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Elle allait enfin pouvoir commencer à s'amuser. C'était le seul homme qui lui ait jamais vraiment résisté et ça rendait le jeu encore plus exaltant.
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A Double Tranchant (Terminé)
Mistero / ThrillerSéductrice accomplie, le docteur Lisa Milton pense laisser son passé trouble derrière elle en acceptant un nouveau poste dans une base militaire souterraine. Avant même son premier jour, elle a déjà jeté son dévolu sur un charmant colonel. Pourtant...