Chapitre 42 - Funeste tête-à-tête

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Le colonel Filips avait entraîné ses deux poursuivants dans une course infernale au cœur de la forêt, sous les étoiles qui emplissaient le ciel dégagé. Il pensait les avoir menés jusqu'à la grotte mais n'en était pas sûr. Là-bas, il retrouva Annette et tous deux se postèrent de part et d'autre de l'entrée.

Après un silence angoissant qui dura plusieurs minutes, un bruissement de feuilles se fit entendre. Un animal ?

Un frottement contre les parois rocheuses. Le vent ?

Le regard de Jonathan croisa celui d'Annette. La tension monta encore. Qui allait faire son apparition ? L'homme se cramponna à la dague d'argent qu'il avait emportée avec lui.

Tout à coup, une ombre se forma dans l'obscurité. Pour Lisa, pour la venger, Jonathan se jeta sur l'intrus et lui enfonça la dague dans l'estomac. Un petit cri étouffé s'échappa de l'ombre lorsqu'elle s'effondra. Mais le sourire satisfait du colonel s'effaça aussitôt.

Annette ralluma le feu de camp et le monde s'écroula, les cieux se déchirèrent, les flammes de l'enfer se propagèrent en un éclair. Horreur et damnation, hurlements, ténèbres, cendres, néant.

La flamme fébrile et vacillante éclaira de sa lumière dansante le visage de la jeune femme que Jonathan avait recueillie au creux de ses bras. Il s'agissait de Lisa. Elle gisait sur le sol, au centre d'une flaque de sang qui n'avait de cesse de s'étendre dans la petite grotte ensablée. D'un geste nerveux, le colonel retira la dague du ventre de la belle et la rejeta au loin.

— Ça y est. Ça va. Tu n'as plus rien, paniqua-t-il.

Il parlait si vite que la moitié des syllabes étaient avalées. Sans doute espérait-il ainsi se convaincre lui-même de la véracité de ses affirmations :

— Parti. Ça va. Fini. Guéri.

La jeune femme tendit faiblement la main pour caresser la joue de son bien-aimé. Surmontant la douleur, elle afficha un sourire joyeux pourtant empreint d'un indicible chagrin.

— Tu vas bien. Juste un peu fatiguée. Tu vas bien, ne t'inquiète pas. On va...

— Jonathan, l'interrompit-elle d'une voix faible. Il n'y a rien à faire, tu le sais.

— Si, l'hôpital est à vingt minutes d'ici et...

— Et il y a deux types armés qui sont à notre recherche dans la forêt. Je t'en prie, cesse de te faire des illusions.

Jonathan détourna le regard. Ses yeux le piquaient et des larmes menaçaient d'apparaître sous peu.

— Je t'avais demandé d'aller en ville, de te mettre à l'abri, reprocha-t-il sans grande conviction.

— Je voulais être avec toi.

— Et voilà où ça t'a menée. Tu n'as pas encore compris que je suis à l'origine de tous tes malheurs ? C'est moi qui t'ai livrée à Marchello, moi qui t'ai laissée aller seule dans la forêt avant ton enlèvement, et moi toujours qui te prends la vie.

Oui, il avait raison. Il était la source de toutes les récentes faiblesses de la jeune femme. Sans lui, sans son amour, son cœur serait resté de pierre, insensible. Alors, et alors seulement, elle aurait eu la force de vaincre, la force de vivre. Mais vit-on vraiment sans aimer ?

Elle toussa, crachant un peu de sang. Ses yeux humides croisèrent ceux, brûlants, de Jonathan. Ils étaient gris, dénotant une légère nuance de vert. C'était un regard assombri par la tristesse, des yeux désespérément secs qui ne pouvaient pas se résigner à accepter la disparition de l'enchanteresse Lisa. Elle sentit une chaleur enivrante monter en elle et un sourire se dessina sur son visage pâle. Elle se sentait bien ici, sur ce sol frais et poussiéreux, dans les bras de l'homme qu'elle aimait plus que tout au monde, plus que sa propre vie. Et elle l'aimait davantage encore pour ce qu'il venait de faire, il l'avait libérée de cette personne fragile et compatissante qu'elle était devenue. Dans la mort, elle allait enfin trouver ce qu'elle recherchait, le néant, ni joie, ni peine, ni déception.

A Double Tranchant (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant