Les dossiers ramenés de la base se trouvaient dans la valise de Daniel. Amanda l'ouvrit. Tout cet argent lui rappelait son époux, il y tenait énormément, peut-être même un peu trop. Sans doute aurait-il eu plus de temps pour s'échapper s'il n'avait pas insisté pour aller le récupérer.
Peu importe, il était trop tard maintenant.
La jeune femme prit les documents puis alla s'asseoir à table. « Dossier 774 : Lumière », un projet auquel elle avait participé. « Dossier 624 : Crocodile », elle n'avait par contre jamais entendu parler de ce dernier. En le feuilletant, elle découvrit qu'il s'agissait d'une étude sur un casque à protections renforcées, rien de bien méchant.
Tout à coup, en tournant une feuille, ses yeux se posèrent sur un gros titre : « Projet Apocalypse ». En dessous, en gros caractères rouges, était inscrite la note « Confidentiel ». Amanda regarda autour d'elle, suspicieuse, puis ouvrit le document mystérieux. Il manquait les dernières pages mais ce qu'elle put lire était suffisant à la compréhension de ce que planifiait ce dossier...
— Colonel ! s'exclama-t-elle en pénétrant dans la chambre.
— Qu'est-ce qu'il y a encore, lieutenant ? répondit-il, contrarié.
— Le général Bellhaie est complètement malade.
— Je ne suis pas médecin, va embêter quelqu'un d'autre.
— Je me suis emmêlée les pinceaux hier à la base et l'ordinateur s'est mis à imprimer n'importe quoi, poursuivit-elle sans tenir compte de la remarque sarcastique et de l'air ennuyé du colonel. Je suis tombée sur un dossier confidentiel qui...
— Tant mieux, la coupa-t-il. Ça plaira à Marchello.
— Jonathan je crois que le général projette de... de tout faire sauter.
— Tout quoi ?
— La région, le pays, la planète. Je n'en sais rien.
Il détourna enfin les yeux de Lisa pour fixer Amanda d'un air sceptique :
— Et qu'est-ce qui te fait dire ça ?
Elle jeta les papiers sur le lit en ajoutant :
— Page 4.
Lisa tendit fébrilement un bras hors de la grosse couette qui la recouvrait puis saisit le document. Elle parcourut quelques lignes du regard puis reposa le tout sur ses genoux. Après quelques éternuements imprévus elle put enfin s'exprimer :
— Je connais ce dossier. Le général m'a demandé de le transférer dans ses fichiers personnels sans le lire, un ordre que je n'ai pas suivi.
— Non, objecta le lieutenant. J'ai imprimé ça depuis le fichier principal.
— Je sais. J'ai intentionnellement enregistré le programme dans un fichier auquel j'ai accès librement. Je voulais l'imprimer plus tard et...
Elle s'interrompit, indécise, puis enchaîna sans terminer sa phrase.
— Mais ensuite Jonathan m'a... invitée.
Elle souligna tout particulièrement ce dernier mot pour faire comprendre à l'homme à quel point elle se sentait trahie et abusée. Le sentiment de culpabilité de ce dernier s'amplifia encore.
— Pourquoi voulais-tu avoir une copie de ce dossier en ta possession ? interrogea le colonel.
— Je... travaille pour l'état-major de l'armée, l'officielle... Il y a quelques mois, ils ont découvert l'existence de la base. Et le mois dernier ils m'ont demandé de jouer les espionnes. Ils se sont débrouillés pour me faire engager par le général Bellhaie. Je devais m'assurer que tout se passe bien, mais je suis tombée sur le « Projet Apocalypse » et tout a basculé.
— Cette base est une vraie passoire, observa l'homme. Entre les espions du Maître et ceux de l'état-major, on n'en finit plus...
— Filips, intervint gravement Amanda. La question ne se pose plus, il faut retourner à la base, le véritable danger est là-bas.
— Négatif lieutenant.
— Judas-316 est sur le pas de tir, revendiqua-t-elle.
— Qui ? Quoi ?
— Le missile nucléaire le plus performant jamais mis au point, c'est ça le « Projet Apocalypse ». J'en suis la principale créatrice, moi et le docteur Foreman, se désola-t-elle.
Le colonel ramassa calmement les feuilles éparpillées sur le lit :
— Plus tard. On s'occupera de ça plus tard. D'abord je dois apporter ça à Marchello.
Un grincement de porte fit crisser quelques dents. L'Italien était là, dans l'embrasure, un regard de fou furieux fixé sur la belle Lisa.
* * * * * *
Un grincement de porte suraigu tira Daniel de sa somnolence. Il serra les dents puis, lorsque le bruit cessa, s'assit. Il était dans une cellule de la base, sur un vieux matelas tassé.
Une main sur la poignée de la porte, l'autre sur l'interrupteur, le général Bellhaie faisait face au captif. La lumière dans son dos entourait sa silhouette rebondie d'un liseré de lumière blanche éblouissant. Daniel ne pouvait que deviner l'expression énervée et menaçante sur le visage de l'homme.
Le haut gradé referma la porte derrière lui en la claquant avec force. Il fit trois pas déterminés vers le docteur en frappant bruyamment ses talonnettes sur le sol. La lumière éclaira faiblement son visage. Il contractait sa mâchoire comme pour se retenir de mordre, des nerfs s'excitaient sous sa peau et ses yeux, ses yeux... si effrayants. On sentait derrière ces deux petites pupilles noires si parfaitement rondes une présence mauvaise. Quelque chose d'inquiétant animait ces minuscules yeux démoniaques.
Daniel se sentit emporté dans un tourbillon sans fin, il n'avait plus aucune notion du temps, de l'équilibre ou même de la vie. Immergé dans l'obscurité de ces pupilles, il perdait pied, se noyait. C'en était trop. Il ne pouvait plus soutenir ce regard insistant, agressif et perturbant au plus haut point. Il fut enfin libéré de cette emprise malsaine quand le général le saisit à la gorge :
— Où est-elle ? articula-t-il clairement et d'une voix puissante.
— Je... Je ne, ah ! ânonna le jeune homme sans parvenir à faire sortir les sons tant sa gorge était comprimée. Si... plaît. S'il vous... vous plaît, je...
L'oxygène lui manquait cruellement à présent. Sa tête se mit à tourner. Il faisait chaud, affreusement chaud. Bien pire encore que les flammes de l'enfer, lieu qu'il ne tarderait peut-être pas à rejoindre. Le général sentit tout le corps du prisonnier se relâcher et il vit bientôt ses yeux rouler dans leurs orbites pour faire place à un blanc crémeux. Le jeune homme avait perdu connaissance. Contrarié, le général envoya son poing dans la figure du docteur puis le jeta contre le mur comme s'il eut été un vulgaire sac de pommes de terre. Le pantin retomba sur le sol sans avoir aucune réaction.
— Excusez-moi mon général, intervint le sergent Davis. Je crois que vous feriez mieux de me laisser le questionner la prochaine fois. Avec tout le respect que je vous dois et sans vouloir vous offenser, vous êtes peut-être un peu trop violent. Ce qui peut toutefois être une grande qualité, bien entendu !
Le général le mitrailla du regard mais s'en tint là. La remarque était justifiée, et le sergent avait bien rattrapé son coup, un peu de flatterie ne faisait jamais de mal. Si le docteur Siler avait le malheur de se réveiller, il aurait affaire à Davis, un maître dans l'art de faire parler les gens.
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A Double Tranchant (Terminé)
Mystery / ThrillerSéductrice accomplie, le docteur Lisa Milton pense laisser son passé trouble derrière elle en acceptant un nouveau poste dans une base militaire souterraine. Avant même son premier jour, elle a déjà jeté son dévolu sur un charmant colonel. Pourtant...