Chapitre 40 - Sacrifiée

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Les lumières électriques de la ville illuminaient la sombre vallée avec presque autant de puissance que les rayons du soleil. Le voile bleuté de la nuit avait depuis peu recouvert la cité. Les gigantesques immeubles de béton gris projetaient leur ombre menaçante sur les flancs boisés de la montagne et le bruit des véhicules motorisés s'élevait au-dessus de la ville plus vivante à cette heure tardive qu'en pleine journée.

Depuis sa petite fenêtre aux vitres brunâtres, Lisa observait l'agitation urbaine avec une larme au coin de l'œil. La liberté lui tendait ses ailes poussiéreuses et la corruption de la ville lui manquait à un point qu'elle n'aurait jamais pu s'imaginer. Elle regrettait son passé, mais ce pourquoi elle s'en voulait plus encore était d'avoir un jour rencontré Jonathan.

Elle relâcha le rideau rose délavé afin qu'il recouvre à nouveau la vitre puis recula jusqu'au lit sur lequel elle se laissa tomber, s'enfonçant dans le gros matelas mou. Elle jeta un rapide coup d'œil à la pièce encombrée de meubles anciens mais rien n'avait changé. Les lieux étaient désespérément statiques. Depuis combien de temps était-elle retenue prisonnière entre ces quatre murs au papier peint à fleur jauni par les années ? Deux jours ? Trois ? Cela lui semblait une éternité.

Un grattement à la porte attira tout à coup l'attention de la captive. La poignée tourna. Un grincement se fit entendre. Une longue silhouette recouverte d'une toge de soie blanche s'avança alors, hésitante. Le visage de l'intrus était dissimulé derrière un masque de papier mâché à l'effigie du Dieu Seth, les crocs en évidence et... les yeux de Frank. C'était bien ce regard d'un bleu méditerranéen et profond qui brillait derrière les deux petites fentes du masque. Ses yeux scintillaient d'une lueur étrange. C'était le reflet de la lumière électrique dans les larmes qui brouillaient sa vue. Derrière lui, le général Bellhaie referma la porte en les laissant seuls.

— Vous allez me libérer ? demanda la jeune femme sans réellement y croire.

Il n'y eut aucune autre réponse qu'un silence gêné. Frank tourna la tête en direction d'une petite table sur laquelle était posé un verre vide, le seul auquel la prisonnière avait eu droit durant sa longue captivité.

— Pourquoi restez-vous silencieux ? Et quel est ce déguisement ? poursuivit Lisa en se levant.

Dès qu'elle fut sur ses jambes, elle se sentit faiblir, ses genoux fléchirent, son dos se courba. Le faux Seth retira son masque puis se baissa. Il aida la belle à se relever et à s'allonger sur le lit.

— Qu'est-ce qui m'arrive ? souffla-t-elle du bout des lèvres.

— Rien. La drogue agit.

— La drogue ? Que...

— Chut.

Frank se pencha et déposa un timide baiser sur les lèvres de la belle. Elle détourna aussitôt la tête, tentant de se dégager de l'étreinte incertaine du jeune homme, mais elle était trop faible.

— Laissez-moi. S'il vous plaît, murmura-t-elle.

Une larme roula sur la joue de Frank, jusqu'à son menton, puis retomba dans le cou de la jeune femme.

— Je ne peux pas, annonça-t-il à regret.

— Mais bien sûr que si ! s'emporta-t-elle malgré la drogue qui engourdissait ses membres.

— Ce sont les ordres du Dieu de mon père, ils sont indiscutables.

— Sornettes... Le Dieu de votre père, vous dites ?

A Double Tranchant (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant