Chapitre 16 - Trahisons

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Le lendemain matin, vers six heures, le colonel se rendit à la cantine de la base. D'énormes cernes gonflaient ses yeux assombris par le tracas mais il n'avait pas eu le courage de se rendormir une nouvelle fois. Il avait passé plus de la moitié de la nuit éveillé et lorsqu'il parvenait enfin à fermer les yeux il faisait des cauchemars.

Lisa le persécutait jusque dans son sommeil. Il la revoyait éclairée par la lune au centre de l'immense étendue d'herbe. Elle lui lançait de temps à autre un regard diabolique. Puis, s'il ne s'était pas encore réveillé tout essoufflé et collant de sueur, elle se jetait sur lui et plantait deux interminables crocs dans son cou. Le sang coulait à flot et c'était à cet instant qu'il revenait inévitablement à la réalité. A chaque fois sa main tâtait son cou mais ne trouvait aucune blessure. Tout cela avait l'air si vrai. Jonathan ne supportait plus toute cette tension, cette douleur permanente qui lui tordait l'estomac et ces cauchemars, ces idées, ces visions...

A la cantine, seul à une table bancale, il mangeait machinalement sans s'en rendre compte, le regard fixé sur le mur gris d'en face. Cela ne pouvait plus durer. L'homme resserra les doigts sur sa biscotte qui craqua en une dizaine de petites miettes. La confiture lui coula sur les doigts puis goutta sur la table. Il était décidé à remettre Lisa à sa place. Il avait été colonel dans l'armée de l'air après tout et il avait eu affaire à bien pire qu'une petite scientifique têtue qui prenait ses désirs pour la réalité. Il inspira profondément, se leva, puis fonça vers la sortie de la cantine. Il allait lui faire sa fête à cette empêcheuse de tourner en rond, c'était du moins ce qu'il avait l'intention de faire pour l'instant.


*


La jeune femme était dans sa chambre, allongée auprès du soldat qui s'occupait de faire monter et descendre les gens de l'ascenseur, Pascal Barvstovsky. Elle s'était sentie seule un peu avant le lever du soleil, quant à lui, il veillait en solitaire près de l'ascenseur. Ça avait été simple de le convaincre, trop simple, et si décevant.

Toutes les pensées de Lisa étaient focalisées sur Jonathan. Depuis qu'elle avait partagé son lit, et bien d'autres endroits encore, plus aucun homme n'était à la hauteur. Elle avait été prise dans le piège où elle s'était jurée de ne jamais tomber, le piège de l'amour et des sentiments. Selon les critères la belle, s'attacher à quelqu'un était la pire chose qui puisse arriver. Faire passer le bonheur de la personne aimée avant soi était inadmissible. Ne fais confiance à personne d'autre qu'à toi-même, cette phrase était devenue la devise de Lisa, et c'était grâce à cela que les portes du succès s'étaient ouvertes à elle, mais pas les portes du bonheur, ce détail-là elle préférait le glisser sous le tapis.

La jeune femme se releva puis récupéra ses vêtements qui traînaient éparpillés dans toute la pièce. Soudain, la porte s'ouvrit sans que personne ait toqué auparavant. Jonathan entra, il courait presque, mais il s'immobilisa instantanément en voyant Lisa en train de reboutonner sa chemise. Il regarda derrière elle et vit Barvstovsky qui remontait rapidement un drap jusqu'à sa taille nue.

— Bon, bonjour mon cho, co, colonel, bafouilla l'homme dont le teint était subitement passé à l'écarlate.

Lisa hésitait encore, elle n'avait jamais eu à faire un choix aussi cornélien : son indépendance ou Jonathan. Cette situation compromettante était idéale pour rompre avec lui, mais le voulait-elle vraiment ?

— Barschtruc ! Qu'est-ce que vous... Non, je n'veux même pas le savoir.

C'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. Exaspéré et humilié, le colonel quitta la pièce en bousculant Lisa contre le mur. Mais peut-être que si elle s'excusait...

A Double Tranchant (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant