Chapitre 17 - Paranoïa

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De son côté, Amanda alla rejoindre son époux dans le laboratoire. Il n'avait pas encore remarqué la présence de sa belle et sursauta en sentant deux mains glisser sur ses hanches et un souffle chaud dans sa nuque. Il eut le réflexe de se retourner vivement, renversant dans son sursaut une dizaine d'éprouvettes hétéroclites. Les deux amoureux soupirèrent d'un air résigné, ce n'était pas la première fois que ce genre d'incident arrivait.

— Navré.

— Ce n'est rien, le rassura Amanda.

— Je deviens complètement paranoïaque. C'est insupportable.

— Je sais. C'est pareil pour moi. Tu as vu les cernes sous mes yeux ? J'ai un nombre incalculable d'heures de sommeil à rattraper. C'est... C'est cette ambiance infernale. L'impression d'être constamment épié.

— Mon ange, dit Daniel en déposant la main sur la joue de sa femme. Cette base devient trop dangereuse pour nous. On devrait...

La jeune femme empêcha son mari de finir sa phrase en posant un doigt sur sa bouche. Elle lui murmura ensuite à l'oreille :

— Je suis persuadée qu'il y a des micros dissimulés dans tous les recoins du complexe. Pourquoi crois-tu que les murs font trois mètres d'épaisseur ? Et les dizaines de câbles qui les parcourent ? J'ai interrogé Billy, le deuxième classe qui s'occupe du maintien des installations. Même lui n'a aucune idée de l'utilité de ces câbles superflus. Ce soir, on rentre chez nous, en ville, et on en parlera tranquillement.

— Et si notre maison était également truffée de micros ? exagéra le jeune homme.

— Tu as raison, tu deviens vraiment paranoïaque, plaisanta Amanda, un sourire nerveux aux lèvres.


* * * * * *


La sulfureuse Lisa se détendait dans une petite baignoire au fond de la salle des douches communes. Elle faisait voler dans la pièce la légère mousse blanche qui débordait largement. Mais le jeu cessa vite car il était déjà dix-neuf heures trente. Elle devait se trouver devant la porte de Jonathan à vingt heures. Vêtue uniquement d'une serviette de bain, l'éblouissante nymphe traversa le labyrinthe de couloirs souterrains sous l'œil attentif des hommes sur son passage. Elle regagna sa chambre en fredonnant d'une voix douce une entêtante sérénade romantique.

Cette soirée était l'occasion ou jamais de prendre définitivement le colonel Filips dans ses filets, la prédatrice avait décidé de le récupérer et de le rendre totalement dépendant d'elle, prisonnier à jamais de ce qu'elle considérait comme la pire des faiblesses humaines : l'amour. Aucun détail ne devait être négligé, surtout pas celui de son apparence physique, c'était son outil de travail, d'une efficacité redoutable il fallait bien l'admettre.

Dès que son armoire fut ouverte son regard se posa sur un tissu noir. Elle se hâta d'en recouvrir sa peau fine et délicate. Jamais vêtement n'avait tant souligné sa beauté fatale. Le noir accentuait la blancheur pure et innocente de sa peau, l'étroite robe moulait à la perfection ses formes généreuses et un magnifique travail de chassés-croisés de fils dorés dans son dos l'embellissait davantage encore.

Elle attacha ses cheveux de façon à laisser apparaître son cou dénudé, ce cou qui affolait tant Jonathan. Son regard intense était souligné par une fine couche de khôl sur les cils et de crayon sous les yeux. C'était l'un de ses atouts majeurs, mais également une importante faiblesse. Tout transparaissait dans son regard, joie, tristesse, envie... Ses yeux, ses beaux yeux sombres, avaient déjà si souvent trahi son apparence blasée et insensible. Mais cela ne l'avait jamais empêchée d'assouvir ses désirs, d'obtenir tout ce qu'elle souhaitait.

Vint ensuite la touche finale, un ravissant orange pâle sur ses lèvres. Le tour était joué. Si le colonel lui résistait cette fois encore et ne lui pardonnait pas sur-le-champ son incartade, elle n'aurait plus qu'à entrer au couvent. Avant de quitter la chambre, elle jeta un dernier regard au paquet de céréales chocolatées qui lui servait de boîte à bijoux. Elle n'en portait aucun. Cela faisait partie de son plan. Ainsi elle avait l'air plus naturelle, moins sophistiquée et par conséquent moins inquiétante. Il ne fallait pas que ça sente le coup fourré. C'était pourtant ce qui l'attendait, elle.

Dans l'ascenseur, la jeune femme rencontra Daniel et Amanda qui avaient eux aussi l'intention de quitter la base. Pascal Barvstovsky commanda à la caisse métallique de remonter à la surface. Mais contrairement à Marc, le soldat ne reprocha rien à Lisa, ça avait été pour lui aussi une simple aventure d'un soir, et maintenant qu'il avait eu ce qu'il voulait elle ne présentait plus aucun intérêt à ses yeux. Elle en était d'ailleurs presque vexée car elle prenait toujours plaisir à voir souffrir les hommes en représailles de ce qu'ils lui avaient fait endurer dans ses jeunes années. Hormis bien entendu Jonathan, elle l'aimait et elle mourrait pour lui, c'était bien là ce qu'elle reprochait au fait d'éprouver des sentiments amoureux. Elle devait donc dominer ce sentiment aussi envahissant qu'indésirable et en faire une arme.

Lisa échangea quelques paroles faussement amicales avec le couple Siler puis quitta l'enceinte de la base. Daniel et Amanda se dirigeaient eux aussi vers la sortie lorsqu'une demi-douzaine de soldats armés surgit brusquement devant eux, leur barrant la route.

— Désolé mais vous ne passerez pas, certifia un dénommé sergent Davis.

— Sergent, je veux rentrer chez moi. Poussez-vous s'il vous plaît, demanda la jeune femme.

— Non, mon lieutenant.

— Non ? Je peux vous en donner l'ordre si ça vous rassure.

— N'insistez pas, ma jolie, ce sont les ordres du général Bellhaie. Personne ne sort ce soir, mesure de sécurité.

— Vous vous moquez de nous ? s'exclama Daniel en riant. Le docteur Milton vient de s'en aller à l'instant. Bon, votre petite blague est très drôle mais...

Le sergent Davis pressa son arme contre le torse du docteur. Ce dernier ne termina pas sa phrase et attira Amanda dans son dos pour la protéger.

— Veuillez nous suivre, enchaîna Davis avec sévérité.

Les deux jeunes époux ne protestèrent pas mais ils avaient l'un comme l'autre compris que leur discussion de l'après-midi avait probablement été entendue, et cela leur coûterait cher...



A Double Tranchant (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant