32. Fuck Kiwi, j'ai du Tranxène !

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32. Fuck Kiwi, j'ai du Tranxène !
(By Victor Carmin)

J'ai racheté une télé à ma mère et j'ai repris mon boulot chez Santorga comme si rien ne s'était passé. Une semaine, puis deux, puis un mois. L'automne s'est installé, aussi gris que l'été mais vachement plus froid. Incroyable comme la vie reste la même, même après la tornade que j'avais vécue. En quelques jours, à deux ou trois trucs près, tout était redevenu comme avant. Le boulot, les pauses dej avec les collègues, la salle de sport, les poubelles à sortir... La parenthèse Sartrouville Ninja n'avait rien changé à ma vie, au fond. Et pourtant, plus rien ne m'était familier. Tout était surréaliste. J'étais plus connecté à rien de tout ça, plus rien n'arrivait jusqu'à mon cerveau.

J'aurais voulu avoir quelqu'un à qui parler, un pote, un ami, quelqu'un qui me connaitrait et saurait comment me réconforter. Mais le seul que j'avais était en taule par ma faute. Kiwi me manquait trop, il me manquait trop. Avec lui j'étais quelqu'un de cool et de marrant, j'avais une cause et des gens qui comptaient sur moi. Sans lui j'étais un mec horrible. Je donnerais ce que j'ai de plus cher au monde juste pour pouvoir lui passer un coup de fil, pleurnicher un coup, et qu'il ne me haïsse pas.

À défaut d'un ami à qui parler, le patron m'a envoyé consulter le psychologue de l'entreprise. Je ne comprenais pas pourquoi, j'allais pas si mal non plus. J'étais juste un peu vide, juste un peu mort à l'intérieur, ça m'empêchait pas de faire mon taf. Ce con de psy m'a diagnostiqué un surmenage, haha. Il m'aurait mis en arrêt maladie si mon patron n'avait pas eu autant besoin de moi pour repousser les journalistes déter. C'était la pagaille à Santorga, avec nos 12 000 clones à bichonner. Prigent avait tout fait pour qu'on n'ait pas à les sortir de la tour, mais des asso et des inspecteurs nous sont tombés dessus, on a été obligés d'en envoyer une partie dans des structures adaptées, des hôpitaux, des cliniques privées etc., avec la promesse du gouvernement qu'on pourrait les récupérer dès qu'on serait de nouveau aptes à les accueillir. Ce qui n'était pas près d'arriver, car Diak n'avait pas réussi à neutraliser le virus de Sartrouville Ninja. Il avait tout reformaté, il y avait passé des nuits entières avec le reste de l'équipe informatique, mais rien à faire. Enfin c'est ce qu'il faisait croire au patron. Je sais bien qu'il pourrait tout réparer en deux clics, qu'il gagne du temps pour S‑Nin, mais je m'en mêle pas. Je ne traine plus avec Driss Diakité de toute façon, le voir me donne des envies de violence beaucoup moins sexuelles qu'avant, et lui il n'arrive même plus à me regarder.


Voilà pour la partie Santorga. C'était pas glorieux, mais en face c'était pire. Sartrouville Ninja était en pleine débâcle. Je suivais comme tout le monde les infos sur internet et à la télé : malgré son refus de coopérer, le leader avait fini par être identifié. Liam Raleigh, 26 ans. L'histoire de son amputation a refait surface, mais la théorie des médias était un peu différente de la réalité : ils supposaient qu'après s'être fait voler son clone alors qu'il en avait tellement besoin, le leader de S‑Nin avait agi par vengeance, kidnappant les clones pour infliger aux autres souches la même injustice que celle dont il avait souffert. Liam Raleigh ne démentait pas. Il ne disait rien de toute façon. Il avait été placé en maison d'arrêt pendant quelques temps, puis il avait eu son procès la semaine dernière. Je l'avais vu à la télé, il était en fauteuil roulant, serré dans une camisole de force, ce qui était complètement débile vu qu'il avait pas de bras. Quand la caméra le filmait de profil, on pouvait voir l'implant qu'il avait derrière une oreille, sans doute la raison pour laquelle il s'était laissé pousser les cheveux. Quand la caméra le filmait de face, je baissais les yeux comme un lâche. J'avais pas eu le courage de suivre le procès, je sais seulement qu'il avait été jugé coupable et envoyé à Fleury‑Merogis pour perpète.

Kiwi ex machina - seconde partieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant