49. Santorga, préserve la vie
(By Victor Carmin)À peine arrivé au taf, je me suis fait convoquer dans le bureau du patron. Celui‑ci m'a même pas dit bonjour, il a attaqué direct :
— Rassurez‑moi Carmin, vous n'avez raconté a personne ce que je vous ai révélé hier , n'est‑ce pas ? Kiwi qui refuse la greffe.
— Euh... non.
— Tant mieux. Gardez ça pour vous, on va faire une petite manœuvre.
— Comment ça ?
Il m'a expliqué son plan, à savoir accepter la soi‑disant demande de greffe de Liam Raleigh afin de :
1. Le faire passer pour un traitre à sa cause aux yeux du monde entier.
2. Faire passer les ONG pour des hypocrites qui se torchent avec le concret.
3. Faire passer Santorga pour des mecs cools qui pardonnent à leur prochain.C'était en fait le plan de Drissou‑Serpent mais ça il l'a gardé pour lui. Il a terminé en m'annonçant que j'aurais prochainement un bureau à moi.
— Trop bien ! Merci patron ! Et comment ça va se passer la transplantation ? Ce sera dans quel hôpital ? On prévoit des trucs au niveau de la sécurité ?
— On verra tout ça dans un second temps. Je vous tiendrai informé.
— Okay.
Il fallait que je me bouge le cul, un peu. J'ai proposé :
— On devrait escorter le clone jusqu'à l'hôpital. Des fois que des activistes ou des gens qui veulent venger Sartrouville Ninja essaient de le kidnapper, vous en pensez quoi ? Je peux m'en charger si vous voulez.
Sans répondre, le patron m'a regardé étrangement, en plissant les yeux, serrant les lèvres. Merde, j'espère qu'il est pas en train de me soupçonner. Je crois pas avoir dit un truc qu'il fallait pas. En tout cas il réfléchissait, et moi si j'ai appris une chose à force de trainer avec des génies, c'est qu'il faut pas déranger les gens qui réfléchissent. Alors j'ai attendu en essayant d'avoir l'air le plus honnête possible.
— Vous avez sans doute raison, a‑t‑il fini par déclarer d'une voix brève. Une escorte. On planifiera ça dans les semaines qui viennent.
Et hop ! J'ai accompli ma part du boulot ! Si Prigent avait refusé que j'accompagne Chibi ça aurait été compliqué, il aurait fallu insister et le convaincre, et plus on insistait plus ça me rendrait suspect après coup, m'avait expliqué ce surdoué de Driss Diak en me parlant comme à un abruti. Là, c'était passé tout simplement, vraiment parfait.
Un peu trop facilement, peut‑être, aurais‑je pensé si j'étais plus malin, si j'avais appris, après quatre ans à me faire berner par mon plan‑cul, que quand on me regardait comme ça c'est qu'on avait un truc derrière la tête qu'on jugeait pas nécessaire de me dire. Un peu trop facile, ouais. Dommage que je me fasse avoir toujours par les mêmes trucs, que je voie jamais plus loin que ce qui m'arrange. Si seulement je croyais pas en ces conneries de karma et de roue qui tourne. Pourquoi la roue tournerait si on lui donne pas l'impulsion ?
La transplantation était prévue pour le 9 mars 2038. Avec mon patron on a tout mis en place, l'escorte et tout, Diak s'était creusé son petit nid dans le cyber‑réseau de l'hosto de Sartrouville, on était prêts.
La veille, au boulot, j'étais quand même un peu angoissé. J'ai eu envie d'aller voir Chibi, de lui dire que tout était en marche et qu'il serait bientôt à l'air libre, je me suis dit que ça me calmerait. Je suis monté à l'étage des clones et je suis allé à sa capsule sous le regard froid de Brigitte.
Je n'étais jamais venu voir le copier/coller avant. Je voulais pas le voir comme ça, à poil et plein de tuyaux. Mais aujourd'hui, je savais qu'il resterait plus ici longtemps, ce serait plus facile. Et aussi, si le plan se passait mal et que je ne le revoyais jamais... il fallait que je le fasse.
08562 LIAM RALEIGH indiquait l'écran au‑dessus de la capsule. Je me suis approché jusqu'à le voir, et là mon cœur a failli lâcher.
La capsule était vide.
— Qu'est‑ce que ? BRIGITTE !
La vieille s'est approchée de moi en trainant les pieds. Je suffoquais.
— Il est où le... il est où... ? IL EST OÙ LE CLONE PUTAIN ?
— Parti à l'hôpital, a‑t‑elle fait en jetant un coup d'œil morne sur la capsule vide. Pour la transplantation.
— Quand ça ?
— Ce matin.
Je l'ai attrapée par les épaules :
— MAIS ÇA DEVAIT ÊTRE DEMAIN ! C'EST MOI QUI DEVAIS L'ESCORTER POUR PAS QU'IL SE FASSE KIDNAPPER PAR S‑NIN !
— Moi on me dit aujourd'hui, je le fais aujourd'hui, m'a‑t‑elle répliqué en se dégageant sèchement.
— C'EST MOI QUI DEVAIS L'ESCORTER PUTAIN !
— Désolée d'avoir suivi les directives de Prigent ! Quand tu ne me pointes pas un pistolet dessus, Victor, je fais ce que dit la direction.
— Quoi, Prigent est au courant ?
— Bien sûr.
Je l'ai plantée là et je suis monté en courant dans le bureau du patron.
— Ah, Carmin. Prêt pour demain ?
— Le clone... ai‑je dit faiblement. Il a déjà été emmené. Brigitte dit que vous étiez au courant !
— Vous êtes allé le voir ? Je vous en prie asseyez‑vous. C'est un leurre que vous escorterez demain. La transplantation de Liam Raleigh a en fait lieu aujourd'hui. La police nous a conseillé cette astuce pour éviter les risques qu'une organisation essaie de faire évader le clone, ou Raleigh lui‑même. Ils m'ont conseillé de mettre le moins de monde possible au courant, alors je ne vous ai rien dit, puisque pour vous tout se déroulera comme prévu : vous escorterez le leurre comme s'il s'agissait du clone de Raleigh, et vous monterez la garde devant la salle d'opération pendant que la transplantation est supposée se dérouler. Pendant ce temps le vrai clone sera rapatrié chez nous en toute discrétion, et Kiwi renvoyé dans l'hôpital de la prison de Fleury‑Mérogis.
— Ça veut dire que... là maintenant... Kiwi est en train de se faire greffer les membres de son clone ?
— Exactement. Malin, n'est‑ce pas ? Figurez‑vous que c'est le clone lui‑même qui a suggéré ce plan à la police, avant de venir se rendre. Ils craignaient que la transplantation ne soit un prétexte pour faire évader Kiwi, le clone leur a dit : vous avez qu'à choisir une date pour de faux, et me greffer un autre jour. Il était vraiment déterminé à donner ses membres, ça laisse pensif. Bien sûr, tout cela est confidentiel, et je compte sur votre discrétion jusqu'à ce que tout soit terminé.
— Bien sûr patron. Bon, je... euh... je retourne bosser.
— Excellent ! Avoir un bureau vous réussit !
Ouais... pas vrai ? Haha... j'étais déjà dehors, complètement sonné.
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Illu : Cirano
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Kiwi ex machina - seconde partie
Science FictionVictor Carmin a pris une décision. Il doit maintenant faire face aux conséquences. (suite de Kiwi ex machina - première partie)