54. Yo : D

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54. Yo :‑D
(by la créature de Frankenstein)

Je te demande pardon, Chibi. Je ne voulais pas ça, il faut que tu me croies. À aucun moment de ma vie je n'ai souhaité tes membres. Ils m'ont pas laissé le choix. Je te jure que j'ai dit non, même s'il en allait de mon évasion, j'ai dit non jusqu'au bout. J'imagine que c'est pas facile à croire maintenant que t'es enfermé et moi libre et avec ton corps. Mais c'est la vérité. J'ai rien voulu de ça. Je n'ai pas cédé dans un moment de faiblesse, je ne me suis pas fait avoir par du chantage ou des promesses en l'air, je n'ai pas craqué sous la pression. On m'a fait ça de force et maintenant... vivre avec... je pourrais pas, Chibi. C'est trop m'en demander. Tes bras, ils sont là, partout, où que je pose mes yeux je les vois. Impossibles à enlever. Comme une prison mais en pire. Quand quelque chose les touche, je le sens. J'arrive pas encore trop à les bouger, mais ça vient tout seul des fois, sans réfléchir. Ils sont mille fois plus légers que mes prothèses, ils pèsent rien. Mais je les veux pas. Et ce dont j'ai peur par‑dessus‑tout c'est de finir par trouver ça pratique, par m'y habituer. Il m'a fallu tellement de temps pour apprivoiser mes faux bras... je les ais gagnés. Ce sont eux, mes membres. Pas les tiens, Chibs, même si on a le même ADN et qu'ils me vont nickel, même si je ne peux pas faire un rejet de greffe, ils m'appartiennent pas et j'en veux pas. Je veux pas les accepter. Je serais capable d'y foutre le feu, de les plonger dans un mixeur sans me poser de questions. La douleur ? J'en ai rien a foutre. Je le ferais et avec le sourire si c'était pas... Si c'était pas, putain...

Un souvenir de toi.


Grenade est entré dans la chambre. J'ai voulu me tourner dos à lui, malgré la douleur à l'épaule sur laquelle j'appuyais. Si elle pouvait s'infecter, se découdre, pourrir. Si seulement je pouvais refaire un choc septique... J'en veux à Grenade comme j'en veux à tous, peut‑être même plus. Ils m'ont fait évader alors que je leur avais dit que j'étais en paix. Ça avait rien à voir avec moi, ils voulaient juste soulager leur conscience, ou retrouver leur Barbie. S'ils se souciaient de moi ils auraient pas permis ça. Ils l'auraient pas causé.

— Kiwi, a fait Grenade.

Puis :

— Liam.

Je n'ai pas répondu. Pas envie de faire l'effort. Rien à lui dire. Il s'est assis près de moi, à une petite distance quand même. Hier soir, quand je m'étais réveillé, j'étais dans une chambre inconnue, Grenade en face de moi, j'avais super mal. J'avais essayé de bouger un peu, comme ça, et bim : un bras humain. Ça m'avait fait peur. Grenade avait attrapé la main et j'ai senti sa peau, j'ai eu la sensation, ça m'avait même un peu apaisé. Mais après, j'ai compris. Enfin, j'ai compris ce qu'on m'avait fait, j'étais encore loin de comprendre comment ça avait pu se produire, comment Grenade a osé permettre ça. Il m'a expliqué que Chibi avait agi dans leur dos, tout seul, après m'avoir fait perdre la boucle d'oreille, je vais pas revenir là‑dessus. Chibi a plein de qualités mais c'est pas un génie, il sait même pas mentir. Un minimum de dialogue et d'attention aurait pu éviter ça. Grenade le savait autant que moi.

— Comment tu te sens ?

J'arrivais pas à me tourner complètement, un des bras restait en arrière, coincé sous la couverture. Je suis donc resté sur le dos comme une baleine échouée. Grenade a eu pitié et m'a aidé à m'asseoir contre les coussins. Il fallait que je mange, d'après lui. Que je reprenne des forces pour pouvoir contrôler les bras et les jambes de Chibi. Il devait pourtant bien se douter que c'était hors de question que je m'en serve, puisqu'il a commencé à me nourrir à la cuillère. Ça m'a fait penser à Belasco. T'arriveras rien à me faire avaler, Grenade, j'ai de l'entrainement.

Kiwi ex machina - seconde partieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant